13 Organisé : le retour (parcellaire) de la Fonky Family

13 Organisé marque le retour inespéré des 4 rappeurs de la Fonky Family sur un même projet . Bien que le groupe y soit présent en ordre dispersé, l’esprit de la FF plane sur de nombreux morceaux de l’album.

2021. Plus que jamais les anciennes victimes et balances du collège ont pris les rênes dans les entreprises, les administrations, les conseils de Défense, au guichet de ta banque. Elles ont fait du fitness et de la communication et sont devenues belles et influentes, comme ces fragiles qui se prenaient des gifles à la cantine pour un feuilleté au fromage et qui sont maintenant nos managers et dirigeants. Dans cette morosité ambiante, certains trucs peuvent quand même redonner le sourire, au moins quelques secondes. Comme un projet 100 % Marseille avec des têtes bien connues qui ont su rapper à une époque où cette musique ne promettait rien d’autre que du kiff. 

Les hérauts du « rap de rue » 

Drôle de parcours que celui de la Fonky Family. Devenu en quelques années la formation rap la plus populaire de son temps, le groupe a finalement traversé l’histoire du rap français à la vitesse d’un coup de matraque sur une nuque. Quelques années d’activité qui suffirent à marquer les esprits de toute une génération d’auditeurs ; et à retracer en profondeur (avec quelques autres) les contours de la musique rap en France : après les musiques conceptualisées d’IAM, les jeux de mot poétisés à la Solaar et les envolées contestataires de NTM, la FF apportait au rap grand public une verve juvénile, bordélique et impétueuse pleine d’amour pour les gens d’en-bas ; avec, par moment,  une attitude nihiliste, inédite cette fois-ci, flirtant avec les préceptes punk du « no future ». 

La fin d’un groupe 

La dernière fois qu’on avait vu les 4 rappeurs du groupe sur un même projet, c’était en 2006. Il s’agissait alors de leur dernier album,  Marginale Musique. À l’époque, leur retour était déjà presque inespéré : Art de Rue, l’album qui avait déclenché une ferveur encore rarement vu jusque-là (malgré un album d’une qualité inférieure à Si Dieu Veut, moins conventionnel et plus inspiré), était sorti 5 ans auparavant. 5 années durant lesquelles le silence du groupe s’était installé : la FF avait commencé à se faire rattraper par les embrouillaminis inhérents à un succès commercial trop soudain quand on vient de nulle part : les gars n’étaient pas vraiment en froid (enfin pas tous), mais ne se fréquentaient plus, chacun ayant regagné le giron de son quartier respectif. Dans ce contexte, Marginale Musique ne pouvait être que raté. Ce fut le cas sur le plan artistique (pas commercial) : ce qui avait fait la force de la FF, l’alchimie entre les membres du groupe, leur fougue, la justesse du propos et l’originalité des productions de Pone n’étaient plus qu’un lointain souvenir. 

La FF sur le même album 15 ans après

Il fallut donc attendre près de 15 ans pour revoir les quatre rappeurs de la Fonky sur un même projet. Certes, la FF s’était déjà réunie au complet en 2015, à l’occasion d’un concert de soutien organisé pour Pone, atteint d’une maladie incurable. Mais, de l’aveu même du Rat, il s’agissait surtout de faire plaisir au producteur toulousain ; aucune reformation n’était donc à prévoir. 

Cette fois-ci, il s’agissait de musique, et surtout de nouveaux morceaux : la tracklist de 13 Organisé, qui avait confirmé la présence du Rat, Don ChoaMenzo et Sat aux côtés d’illustres inconnus du grand public et de figures historiques, avait forcément de quoi attiser la curiosité de tout bousillé de rap qui se respecte. Mais l’absence de Pone et de Djel, plus le fait que chaque rappeur soit éparpillé sur le projet (excepté sur Tout a changé, où on retrouve Le Rat et Menzo) nous confirmaient aussi ce qu’on savait déjà : il ne s’agirait pas du retour de la FF en tant que groupe.

À l’écoute des couplets des anciens membres du groupe, le constat est encore plus clair : excepté Sat, qui représente encore pour la FF t’as reconnu le double F sur la plaquette »), aucun des trois autres rappeurs n’évoque le groupe, ni fait de dédicaces à Djel ou Pone, injustement absents de 13 Organisé (Pone a été contacté par Jul pour le projet mais aucun de ses instrumentaux n’a finalement été retenu).

L’ombre de la FF derrière 13 Organisé

Malgré ces absences, difficile d’affirmer que la présence de la FF ne se fait jamais ressentir sur 13 Organisé ; et pas uniquement parce que les 4 MCs représentent toujours, souvent malgré eux, leur précédente affiliation. 

Sur le fond, plusieurs rappeurs font des dédicaces appuyées à la Fonky, revendiquant volontiers une filiation. On entend notamment Kofs introduire un morceau avec un « c’est la Fonky Family j’te le dis direct », Naps reprendre des lyrics du Rat fasciné par la classe ouvrière la vie des voleurs et celle des voyous ») ou nous parler de la « légende » Luciano

Au-delà des citations, les lyrics de l’ensemble du projet démontrent l’empreinte que le groupe a laissée sur le rap marseillais en termes de contenu : qui a mieux que la FF rappé son amour pour les gens « simples », la vie ordinaire, la culture du quartier et du peuple ? Qui n’a jamais cessé de défendre avec fierté les « gens de la zone, les zinzins, les débrouillards et ceux qui portent la cagoule » ?

Aujourd’hui,  cette culture marginale, qui à l’époque faisait du rap une musique subversive dérangeante, y compris pour la génération des parents, est devenue dans les rues de Marseille la culture dominante. Et ce sont les enfants de ceux qui ont été touché par les textes des membres de la FF qui posent aujourd’hui à leurs côtés, représentant consciemment ou non les codes et la mentalité de cette culture, et symbolisant mieux que personne la réussite du rap, devenu véritablement une « musique pas faite pour cent personnes mais pour des millions » – pour le meilleure comme pour le pire. 

Sur la forme, l’influence de la FF sur 13 Organisé est encore plus palpable : avec sa fougue et son côté bordélique par moment, mais aussi son énergie collective et sa camaraderie, le projet rappelle invariablement l’esprit même de la FF: n’est-ce pas la Fonky qui, depuis Bad Boys de Marseille, a contribué à populariser un format « posee cut » avec couplet au nombre de mesures inégal, passe-passe non structuré et sens de l’unité ?  

Quelles qualités artistiques ?

Passé le symbole fort porté par le projet et la part de mythologie autour du groupe, que reste-t-il des apparitions des rappeurs de la FF sur le plan artistique ? L’excitation fait place à un constat plus mitigé. Le Rat Luciano fait pourtant des apparitions très remarquées sur L’Etoile sur le maillot, et peut-être plus encore sur Je suis Marseille. Performant sur les morceaux phares du projet,  il reste tout de même un peu en-deçà de ses fulgurances d’antan. Sur Tout a changé, son flow peine même à convaincre, à l’image de ses dernières prestations avec Jul, souvent passées inaperçues. Mais Le Rat reste Le Rat, et il s’en sort avec les honneurs.

Don Choa est quant à lui à peine reconnaissable sur le projet. Ni son célèbre flow saccadé, inspiré par la vibe reggae-ragga, ni sa voix nasillarde n’ont été privilégiées par le toulousain. François a poussé la chansonnette sous auto-tune et sans grande conviction. Sat, la grande gueule de la FF, celui à qui on a longtemps reproché d’avoir été à l’origine de la dissolution du groupe, revient lui plutôt en forme. Le timbre de voix n’a pas changé et le flow fait toujours le taf – Sat a d’ailleurs toujours été plus pertinent sur des BPM rapides que low-tempo. 

Menzo,  enfin, seul MC du groupe à n’avoir jamais rien sorti sans la FF, s’adapte avec facilité au beat « julien ». Au final, c’est même lui qui pose le couplet plus sincère et le plus touchant de ses anciens camarades, concluant par une phase nostalgique semblant faire écho à la séparation du groupe, mais aussi à la fin d’une époque que la FF a symbolisé mieux que quiconque : « la vie d’avant n’est que souvenir, j’peux plus m’ouvrir, j’veux plus souffrir ». Un constat qui n’empêchera pas la Fonky Family de rester, grâce à son rap proche des gens et son amour sincère pour le Hip-Hop (RIP), un groupe à part dans l’histoire de cette musique.  

About Yugo Veronese

Yugo Veronese pour les réseaux sociaux. Aime le rap, rarement les rappeurs.

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