Nous sommes en 2009. Le jeune Orelsan balance son 1er album, Perdu d’avance. Ce premier opus, chronique d’adolescent paumé et sarcastique, se conclut par une note plus intime. Le morceau Peur de l’échec, introspection abattue, clôt la partition du provincial en proie au doute. Au milieu de ce titre, une phrase me reste en tête : « Je m’implique dans rien, je suis venu sur terre pour voir« .
12 ans et deux albums plus tard, Orel, devenu tête d’affiche, effectue son retour avec fracas pour annoncer son 4ème album. Le clip de L’odeur de l’essence a déferlé sur la toile, cumulant les millions de vues en moins de 24 heures. Avec ce morceau, rageur et stylisé, Orelsan se réinvente artiste « conscient » (épouvantable mot). Le jeune branleur qui ne s’impliquait dans rien s’improvise Kery James. Avant de démêler le contenu du morceau en question – brûlot gauchiste ou bouillie centriste ? – arrêtons nous sur cette supposée évolution.
Mal vieillir comme un vieux punk
La longévité est affaire de réinvention, Booba nous a appris la leçon. En bon fan de Temps Mort, le Caennais a retenu l’enseignement. A chaque période son identité bien délimitée. A la figure du jeune homme accablé par l’ennui a succédé celle de la nouvelle star éprouvée par le succès avec Le chant des sirènes. Le troisième projet, le bien nommé La fête est finie annonçait la couleur. Terminé l’ado infidèle et tourmenté (formule parachevée avec les Casseurs Flowters), place au quadra sage et apaisé.
En se fiant à ce schéma, on pouvait se demander quelle serait la nouvelle forme que prendrait San. En découvrant L’odeur de l’essence, la confusion règne. Orelsan est-il passé de mari rangé à anarchiste exalté ? Est-ce son éternelle jeunesse qui le rend si vindicatif ou la maturité lentement acquise qui lui ouvre les yeux sur le monde ? Après tout, rien n’indique que l’âge ait quelque rapport avec le degré de lucidité (Booba nous en informe aussi).
Or, nous faisons l’hypothèse qu’il n’en est rien. Derrière le faste de la réapparition grandiose, il s’agit moins d’un nouveau San révolté que du sempiternel personnage désorienté. S’il est facile de se construire une identité de teenager indifférent au monde, le contre-pied demeure périlleux. Prendre un bidon d’essence pour en foutre partout ne signifie pas forcément la révolte, à moins de voir dans le Joker une icône insurrectionnelle.
La patate chaude de la politique
Mais peut-être que le compère de Gringe s’est aventuré sur un terrain qu’il connait bien : celui du morceau à thème. Il a abordé divers sujets (la mort, la famille, l’amour) à travers ce genre, avec une certaine habileté. Logiquement, il a élargi le choix vers des thématiques plus impersonnelles. Or, lorsqu’il s’empare de ces « sujets de société », il le fait de manière curieuse, comme mal à l’aise avec l’objet. Quand il écrit Tout va bien, il procède à l’envers. Soucieux de ne pas choquer l’enfant à qui il raconte des faits honteux, Orelsan les transforme en mensonges audibles. Mais au fond, n’est-ce pas symptomatique de l’indisposition à traiter de ces sujets ?
La forme même du morceau à thème comme cadre au morceau politique pose problème. C’est comme si l’artiste ne devenait politique que lorsqu’il le choisissait, le temps d’un morceau « engagé ». Tracklist compartimentée, à la carte ; si nous n’aimons pas les morceaux « trop politiques », nous trouverons notre bonheur dans le reste. Or, cette conception de la politique comme temporaire et volontariste, comme un thème comme un autre, s’accorde avec l’image d’Orelsan construite par ses fans. On pourrait la résumer ainsi : Orelsan serait un rappeur hautement politique, mais seulement quand il le voudrait.
A ce titre, le morceau Suicide social demeure un cas d’école. Morceau à thème par excellence, calqué sur une célèbre scène d’un film de Spike Lee, c’est un défouloir de 5 minutes envers toute ladite société. Si on se tient à ce cadre-là, il se trouve qu’Orelsan excelle dans la posture empruntée à Edward Norton. Il campe le parfait nihiliste plein de rancoeur, digne d’un personnage de Dostoeiveski. Morceau à thème réussi donc (particulièrement lucide lorsqu’il énonce que « les jeunes moyens {sont} les pires de tous »). Les choses se compliquent quant à l’interprétation qui en souvent tirée. Le personnage d’Orelsan – ou Orelsan lui-même – ne serait pas tant celui qui ne croit en rien que celui qui dénonce.
Le chant du cygne
Quand on s’aventure dans la section commentaire Youtube du morceau, on a comme l’impression de se retrouver dans celle de Keny Arkana. De nombreux commentaires font état d’un morceau engagé, révolté, porteur de vérités. Mais comment peut-on soutenir qu’Orelsan dénonce dans ce texte ? Suicide social traduit à l’inverse un désengagement politique. Tout le monde se fait étriller, pauvres et riches, jeunes et vieux, beaufs et snobs, fachos et féministes. Tous.tes se valent, le relativisme est complet et le mépris exhaustif.


Sur les réseaux sociaux, la sortie de L’odeur de l’essence a immédiatement suscité le rapprochement avec Suicide social. La comparaison fut désamorcée par certains, au prétexte que le premier morceau était une fiction, quand le second étalait les opinions sincères de Orelsan. Or, L’odeur de l’essence est l’enfant de Suicide social sur bien des points. Sa verve agressive tance la bêtise généralisée de l’époque et sa sensibilité (entendu sa susceptibilité) ; il renvoie à nouveau dos à dos féministes (« connasses hystériques ») et fascistes, dans un alignement de gros poncifs.
Adieux les politiques, en parler me ferait perdre mon temps
Tout le système est complètement incompétent
Suicide social, Orelsan
La phrase ci-dessus éclaire sa position. On pourrait évidemment se dire que, las de la médiocrité politicienne bien réelle, Orelsan la vomisse pour mieux défendre une alternative. Or, le « tous pourris » lui permet de conforter son cynisme. Si les « extrêmes » se rejoignent et que tout le monde est stupide, la posture adoptée sera celle de l’abandon dédaigneux. A l’écoute du single, la conviction qu’il ne croit en rien se renforce. Le personnage qu’il campait dans Suicide social précédait l’abstentionniste paumé qu’il semble être en privé (impression renforcée par le grotesque Manifeste dans Civilisation). Orelsan se rêvait Nekfeu, il n’est en fait que Vald.

Contrairement à l’auteur de Civilisation, Nekfeu semble avoir des convictions solides, et une réelle envie de les exprimer. La comparaison avec l’auteur de Ce monde est cruel, elle, se défend. Comme Vald, Orelsan représente une génération, de par son succès autant que par son identité. Orelsan et Vald resteront des enfants d’Internet, du troll (Saint-Valentin pour l’un, Selfie pour l’autre) et de l’ennui, de jeunes tiraillés entre le cynisme trop facile et la mise à nue touchante. Leur talent respectif évident nous aura offert le meilleur comme le pire. Avec eux, c’est aussi un public nouveau, mobilisé, prosélyte, qui a envahi les espaces commentaires et les réseaux sociaux.
In fine, la construction de L’odeur de l’essence tient probablement à deux éléments. D’une part, la difficile reconversion artistique d’un quarantenaire ayant déjà abattu les cartes de l’intime et de la bouffonnerie l’aura conduit à cette tentative manquée. De l’autre, l’obsession (et la réussite) d’une partie de son public à le présenter comme un artiste politique (vision tronquée et paradoxale on l’a vu) ne pouvait que le conforter à rejouer Suicide social. Car au fond, peu importe la nouvelle identité adoptée, elle semblait vouée à faire mouche.
Alors oui, évidemment, voir un artiste aussi populaire fustiger la police, emmerder les fachos et soutenir les Gilets Jaunes dans une période anxiogène et disons-le, fascisante, reste bienvenu. Mais n’est-ce pas là le strict minimum ? Peut-être est-ce significatif qu’un tel morceau paraisse malgré tout subversif dans ce climat politique de terrible droitisation.
Enfin quelqu’un de juste dans sa critique, merci à l’auteur !
Ba surtout que l’auteur de l’article vise à côté, en voulant mettre le Orelsan de Perdu d’Avance dans une vision artistique qui ne devrait pas changer au fil des disques.
Je suis désolé, mais je me suis pris une claque avec Manifeste et avec L’Odeur de l’Essence. Ça faisait longtemps que je n’avais pas entendu de tels brulos politiques. Encore faut-il se sentir concerné par le propos.
Et le reste de l’album, après quelques écoutes, est aussi pour moi une totale réussite.
Faut juste accepté l’évolution de l’artiste, et arrêter de faire le chroniqueur aigri.
Bref, article à jeter.
Pourquoi tant de critique facile?
Pourquoi un tel texte ???
C’est dommage de laisser les stagiaires écrire les articles, ils en deviennent fades…