L’année 2021 vient de se clôturer, pourtant ce n’est que le début pour La Fève. Le 17 décembre dernier, le rappeur originaire du 94 nous a livré ERRR, faisant office de cadeau de Noël avant l’heure. Après l’excellent KOLAF co-produit avec Kosei, La Fève se savait attendu, encore plus après le succès critique et commercial du single Mauvais Payeur. Véritable étoile montante du rap français, a-t-il justifié son nouveau statut ? Éléments de réponse.
Nommé “next gen” ou la “new wave”, cette nouvelle génération arrive fort sur le rap français. Emmenée par des rookies comme Chanceko, Khali, 99 et So La Lune, elle apporte une vague de fraîcheur inévitable. L’une des figures majeures de ce mouvement est bien entendu La Fève. De nombreuses attentes furent placées en lui après l’EP KOLAF. C’est assez logiquement qu’il a tenu à répondre présent en nous offrant ERRR. Le projet se compose de 18 morceaux et de quelques collaborations avec $ouley, Zamdane et S-Téban.
Une palette technique large et innovante
Si La Fève parvient à passer un cap avec cette mixtape, c’est avant tout grâce à son atout principal : sa voix. Cette dernière, nasillarde et atypique, reste gravée en tête. Il a déjà réussi à imposer sa particularité. Au-delà de cet atout oral, le jeune MC prouve qu’il est capable de kicker mais aussi d’avoir des moments plus mélodieux comme sur L’APPEL et RAT INTERLUDE. Il parvient à compenser un vocabulaire parfois simpliste par des rimes redoutablement efficaces et un phrasé dont lui seul a le secret. L’écriture est parsemée de quelques touches anglophones, auxquelles le public est habitué (grâce à Hamza notamment). Il propose un rap de niche, pas forcément accessible pour tous, en s’appropriant différents codes qui fonctionnent dans le rap français actuellement. Grâce à ce choix artistique, La Fève parvient à proposer quelque chose de nouveau parmi les propositions actuelles et donc à se différencier. Il semble déjà avoir l’étoffe suffisante pour construire une musique envoûtante et novatrice sur la durée.
La singularité de ERRR se trouve dans le ton et les innombrables flows tous plus désinvoltes les uns que les autres. Aucun élément ne mène le son entre le poids des mots, leur sens ou les productions. C’est probablement l’une des plus grandes forces du projet. Autre aspect rayonnant, sa spontanéité. Rien ne semble calculé, laissant place à une étincelante liberté. Tout porte à croire que l’album a été construit afin de s’éloigner d’une routine pesante. Par exemple, sur CRENSHAW, il donne l’impression d’expliquer l’enregistrement de son morceau. On remarque également des refrains qui n’en sont pas réellement ou des couplets uniques (de plus en plus standard dans le rap français).

Des choix forts
La mixtape dure seulement 39 minutes. Pourtant, 18 morceaux sont à notifier. Ce n’est pas par manque d’inspiration que La Fève a fait ce choix. L’écoute est plus appréciable, les titres s’enchaînent avec des transitions léchées, calibrées à la seconde près. Cela donne un rendu minimaliste et rythmé, où l’auditeur n’a pas le temps de s’ennuyer. Cet aspect symbolise l’art global de l’artiste, inspiré par des producteurs d’Outre-Atlantique comme Pi’erre Bourne et Metro Boomin.
Pour accompagner ces initiatives, La Fève avait besoin de s’entourer d’une équipe de beatmakers jeunes et talentueux. C’est chose faite puisque l’on retrouve des pointures comme Gwapo, Kosei, et Freakey mais également des moins connus comme D1gri, Jead, Bricksy, Daigo Tempo Once Again, DoomX, OGMael, Fakri, Denma et Timo Prod. La liste est longue mais cela confirme qu’il est parfois nécessaire de sortir de sa zone de confort afin de se renouveler. Les hommes de l’ombre, du rap underground, sont ici mis en lumière, pour notre plus grand bonheur. La direction artistique est plus homogène, faisant ressentir une envie commune de créer la meilleure proposition artistique possible. On se retrouve avec un feu d’artifice de sonorités surprenantes et uniques. Par ailleurs, La Fève ne peut s’empêcher de remercier ses acolytes sur les différentes tracks.
“La prod elle est quali je fais de la musique élégante”
sur SAOULÉ
“ERRR Tape 2021, le 7, la Walone, (LOW) s/o tous les gars qui font les bails dans les studios”
sur NO HOOK
Des lyrics ambitieux et craintifs à la fois
L’un des thèmes qui revient le plus souvent : la gloire et la richesse (personnelle et matérielle). Dès le début du projet, La Fève assume son envie de gravir les échelons et surtout sa fixation à connaître la fame. C’est un véritable comportement de rookie, affamé et déterminé à s’installer dans la scène urbaine française. À différents moments, il clame haut et fort sa différence et sa singularité. Ses ambitions sont élevées et il ne s’en cache pas. Voici une sélection de punchlines, étalant l’égotrip du jeune rappeur :
“J’ai les crocs là, belek”
sur BELEK
“J’veux juste un milliard”
sur KANYE WEST
“Il faut que je persévère si je veux racheter la maison à mon père ma gueule”
sur NO HOOK
“Rien peut me freiner ma le-gueu, t’as bien vu comment le jeune il est entrainé. Je trap ça comme si je faisais de la peinture, toujours le malin me colle à la ceinture”
sur CRENSHAW
“T’as kiffé La Fève parce que je suis pas comme eux, parce que je fais ce qui me parle le plus”
sur LYELE OUTRO

Le second thème omniprésent abordé par La Fève est la trahison. Il semble totalement hanté par cet aspect. Son univers et ses lyrics en sont directement impactés, apportant une noirceur ubiquiste. Les ambitions du rookie passent parfois même au second plan, laissant place à des piques envoyées aux “faux frères” et aux “rats” qui l’entourent. Entre une paranoïa assumée et une jalousie décomplexée, La Fève semble avoir besoin de se défouler et de rappeler un passé douloureux.
“Je pensais que t’étais mon homie
J’mets tempête et j’les laisse à l’agonie”
sur OTW
“Toi et l’autre serpent c’est pareil
J’disais j’voulais faire ça tu te marrais”
sur L’APPEL
“Un frérot vise le sommet, un autre lui porte l’œil
Comme une routine ma le-gueu on voit trop ça donc faux amis j’ai fait le deuil”
sur CASTRO
“C’est juste des sangsues, c’est juste des rats mon négro
Fais belek à ceux qui gravitent, faut faire ton cash mon négro”
sur RAT INTERLUDE
Enfin, La Fève se laisse envahir avec parcimonie par une mélancolie, donnant naissance à des morceaux incroyables comme ZAZA, LYELE OUTRO ou encore LONERR.
Avec ERRR, La Fève se distingue par un travail de qualité et s’offre ainsi, une nouvelle place de choix dans le rap français. Seulement au début de sa carrière, le futur du rappeur s’annonce radieux. Il est désormais compliqué de qualifier La Fève de rookie, tant il ne joue déjà plus dans la cour des mauvais payeurs…