[Interview] Battaglia, sur le champ

En moins d’un an et deux EP six titres, Battaglia s’est imposé comme un artiste incomparable stylistiquement dans le paysage audiovisuel du rap francophone. Sous le soleil de plomb d’une terrasse lyonnaise, il raconte ses dernières tribulations et accomplissements musicaux.

« Maxime Battaglia, auteur-compositeur-interprète lyonnais. Musique alternative, entre le rock, le rap et l’electro ». Voilà comment se présente en préambule de notre échange Battaglia. Une spontanéité que l’on retrouve dans sa musique qui après s’être dévoilée dans un premier EP en juillet dernier – j’en faisais une chronique par ici – a déjà évolué vers un format plus punk, plus foutraque et expérimental avec Acid Velvet alors même que Battaglia laissait entrevoir un univers plus pop. C’est un nouveau contre-pied, de nouveau avec une approche de la musique qui semble lui coller à la peau alors que l’artiste explore toujours plus de diversité stylistique sans jamais s’essouffler. De 6IX à Battaglia, du rap au punk-rock, cerner le personnage n’est pas une chose aisée.

La photo de couverture et les photos dispersées au fil de l’interview sont de Deuspleen du collectif lyonnais dédié à l’image Le Sheh, avec qui Battaglia avait déjà travaillé pour des clips lorsqu’il était 6IX.

Hello, merci d’avoir accepté d’échanger ! Ton second EP Acid Velvet vient de paraître. Si on grossit le trait, on a d’un côté des productions, des arrangements rock, punk-rock, très british, et de l’autre une voix sous effets divers et une écriture qui reste très ancrée dans le rap, est-ce que tu te considères toujours comme un rappeur ?

Je viens de là donc oui. C’est un exercice que je sais faire, je ne peux pas renier d’où je viens. Donc oui, je me considère comme rappeur. Mais aujourd’hui je me considère aussi comme un artiste complet, c’est-à-dire comme un auteur-compositeur-interprète alternatif.

Qu’est-ce que tu entends par alternatif ?

Un mélange de plein d’influences. Et quand c’est un mélange d’influences, c’est soit de la pop – et je n’avais pas envie d’appeler ma musique comme ça – soit de l’alternatif. Il fallait donner un nom à cette mixture, j’ai dit alternatif. [Rires]

Ce projet arrive moins d’un an après le premier, comment l’as-tu conçu et quel était ton objectif avec cette sortie ?

En vérité, le premier projet et celui-là ont été composés en même temps. Il n’y a que – peut-être – Anglais et Boulot qui ont été composé un tout petit peu après, mais les deux EPs ont été conçu en même temps, pendant et après le confinement de 2020 où j’ai fait quinze morceaux et j’en ai sélectionné douze. Mais comme, au bout de quelques morceaux, une évolution était déjà en cours, j’ai décidé d’en faire deux projets distincts.

Et donc, comment as-tu choisi la DA musicale du premier et du second ?

Quand tu commences à partir dans une nouvelle vibe, il suffit de faire quelques morceaux et et déjà cette vibe est en train d’évoluer. Donc j’ai dispatché pour qu’on sente une évolution sur le deuxième. Le deuxième ce sont les morceaux les plus « récents » dans la temporalité, mais pas que : Rêves, par exemple, est issu des premières éjaculations, des premières sorties d’idées.

Pour moi, Acid Velvet est nettement moins pop que le précédent, je n’y ai pas forcément retrouvé les refrains entêtants, voire un morceau plus pop comme Cokain California. C’est voulu ?

Non, ce n’est pas voulu. Ça vient de la façon dont j’ai composé les morceaux et avancé dans le processus, je me suis retrouvé avec des trucs plus courts. Pour les formats punks on est obligé de rentrer dans un format un peu plus court, un peu plus direct. Ce n’est pas voulu, c’est la suite logique des choses. C’est mon cerveau qui a fait les choses comme ça. C’est l’évolution de ma musique qui s’est faite comme ça, toute seule. Je trouvais ça judicieux de l’amener dans l’ordre dans lequel je l’ai créé. C’est comme ça que je l’ai réfléchi, mais je ne l’ai pas trop réfléchi en fait.

Ce n’est peut-être pas réfléchi, mais il y a eu la démarche de changer de nom et de DA…

Ça, c’est arrivé après avoir créé tous les morceaux. J’ai fait des morceaux et on s’est dit que ce n’était plus 6IX, c’était autre chose. C’est peut-être plus Maxime, plus Battaglia. On s’est dit qu’on allait repartir sur une page vierge. C’est comme si je me réincarnais et que je me rappelais ma vie d’avant.

Pour parler un peu de ton écriture, j’ai l’impression – ce n’est pas négatif et je peux me tromper – que tu écris sans réel fil directeur, que c’est très automatique, ça semble parfois plus dicté par des sonorités. Comment tu appréhendes ça ? C’est quelque chose que tu as travaillé ?

C’est comme ça que je l’aime le plus. J’aime quand ça sonne bien, j’essaye de trouver un sens un peu sympa mais il faut que les mots soient harmonisés, qu’ils soient jolis à entendre, j’aime bien travailler comme ça. Comment je réfléchis et comment j’opère pour le processus créatif ? Je fais au fur et à mesure. Je fais phase par phase. Je n’écris pas, j’enregistre tout de suite. C’est comme ça que je fonctionne.

Et ce mode d’écriture, comment tu fais pour que ça ne rentre pas en contradiction avec l’histoire que tu veux raconter ou dans la narration des clips par exemple ?

Pour moi le clip il peut raconter une autre histoire en parallèle de la musique. C’est aussi beaucoup Le Donjon qui a les idées. Moi j’envoie la track et eux ils ont une story qui sort. Ils l’écrivent et ça part comme ça. Je pense que c’est aussi mes sons faits spontanément qui leurs inspirent des histoires aussi folles-dingo. Ils me les proposent, je les valide ou pas, mais c’est vraiment par rapport à mon travail qu’ils développent l’histoire. Et ça ne rentre pas en contradiction parce qu’ils s’adaptent à ce que je fais.

Tu as sorti un premier clip pour accompagner la sortie du projet. On y suit les aventures du même personnage que dans la trilogie issue de l’EP Battaglia ?

Par rapport à la première trilogie, c’est toujours ce même personnage mais on est sorti de la trilogie, de la fiction. On est dans une autre fiction, celle d’un mec qui taffe, qui a pris un autre recul sur lui et sur la vie.

Dans tous les clips de Battaglia on retrouve des clins d’œil aux films de mafieux. Ce sont des clips très scénarisés. Quelle place tu donnes aujourd’hui à l’image – je pense aussi au projet de photos avec Deuspleen du Sheh, avec qui tu as travaillé – dans ta proposition artistique ?

Une place de plus en plus importante. En fait avant je trouvais ça très narcissique, très m’as-tu-vu… Et c’est une charge mentale de penser à se prendre en photo, à se filmer… C’est un vrai exercice mental d’y penser tout le temps. Et j’ai vu une autre facette de cette partie-là qui est vraiment une branche artistique, l’image, la sape, la photo, la vidéo, c’est un crochet important de l’art qu’il ne faut pas négliger.

Quand on s’est croisé, je t’entendais dire « j’espère que ça va pop » ou quelque chose comme ça, et ça me fait penser à ce que me disait quelqu’un à ton sujet : ta musique a un public qu’elle n’a pas encore trouvé, ou à l’inverse, ton public ne t’a pas encore trouvé… Qu’est-ce que tu en dis ?

C’est une bonne question. C’est un peu le constat dur qu’on fait. Il y a eu 6IX qui n’a pas forcément trouvé son public. Il y a Battaglia qui n’a toujours pas trouvé son public. C’est un constat un peu dur parce qu’on sait que ça peut plaire car il y a des personnes qui ne sont pas nos potes qui nous font des vrais retours sincères. Donc je me dis que ça peut sûrement plaire à quelqu’un mais pour le moment, on n’a pas trouvé. On cherche, on met des choses en place avec mon équipe parce qu’il n’y a pas que moi qui y pense. Il y a Kasanostra derrière tout ça, Le Donjon, il y a Orlando, il y a du monde qui réfléchit à comment amener la chose de la façon la plus compréhensible possible pour transmettre la vibe. Et moi je commence vraiment à m’intéresser à l’image à proprement parler. Je trouve que c’est vraiment une discipline artistique de tenir son image, un Insta, faire de belles photos, de beaux montages… C’est un truc qui commence à vraiment me passionner donc c’est aussi en développant mon image extérieure que ça peut se faire. En développant un personnage, qui est un personnage naturel que j’accentue un peu, ou simplement que je montre car avant je ne le montrais pas. Avant, j’exposais ma musique et tout ce qui était image ce n’était pas négligé mais minime par rapport à la charge de travail. Maintenant ça prend une place plus importante, j’essaye de le prendre un peu plus au sérieux et peut-être que par cette voix-là on pourra faire comprendre aux gens le délire, l’univers, le personnage. Et peut-être que ça pourra ouvrir des portes et trouver ce public qu’on n’a pas encore trouvé. Via des lives aussi, beaucoup plus de lives. On travaille aussi beaucoup de ce côté-là et on espère que via ces deux canaux-là ça puisse déboucher sur quelque chose. On verra.

On va faire un petit bond en arrière tout en reliant ça à ta musique. On m’a plusieurs fois parlé de l’approche ou d’un esprit punk des artistes Soundcloud lyonnais qui sont là depuis un moment par rapport à l’industrie de la musique. Certains ont trouvé une place comme Marty de Lutece (avec qui on a pu discuter ici), Izen ou Lyonzon par exemple, d’autres moins, pour diverses raisons… C’est quelque chose qui te parle ?

A l’époque à fond ! On était dans le Soundcloud jeu à fond, c’est même grâce à ça – quand j’étais sous 6IX – que ça m’a ouvert des portes, plusieurs artistes m’ont donné de la visibilité et de la lumière. On était à fond dedans, c’était gratuit, on postait des sons quand on voulait, sans délais d’attente. Ça sortait des sons tous les jours c’était la folie ! Moi j’adorais cette productivité, ce sport. Tous les jours il y avait un nouveau son de quelqu’un à chaber… Après est arrivé le fait de pouvoir se retrouver sur toutes les plateformes : pour trente balles tu pouvais te retrouver partout et pour un artiste c’est logique d’aller toucher plein d’autres plateformes et d’évoluer. Quand tu fais de la musique, c’est bête de ne pas vouloir aller sur ces autres plateformes si ton but c’est de faire écouter ton son au plus de gens possible, il faut que tu sois partout. Et ça a un peu brisé ce Soundcloud game. Par évolution, par pure évolution logique. Aujourd’hui, je n’ai pas encore fait de Soundcloud Battaglia mais on n’est pas à l’abri pour les non-officiels ou pour les non-release shits. J’ai kiffé ce mouvement même s’il est en train de se perdre. Après, il y a une nouvelle génération qui arrive mais pour moi c’est sur le côté au cas où… On passe plus par les grosses plateformes, c’est l’évolution logique des choses.

Et c’était comment cette évolution pour toi, cette perte de liberté finalement ? Avec des délais, des coûts, une moindre stimulation artistique…

Je ne sais pas… Je ne sais pas comment je l’ai reçu ce truc-là. Ça m’a sûrement cassé les couilles au début je pense. Tu vois tout le monde qui passe par ce format-là et tu te dis : « bah vas-y, let’s go, c’est la logique faut y aller ». Donc oui au début ça m’a cassé les couilles et puis après quand on a compris le jeu, qu’il fallait s’y prendre un peu plus tôt, fallait faire belek, garder un Soundcloud sur le côté, c’est devenu la norme. Tu sais c’est comme tout, quand les prix augmentent ça te fait chier pendant six mois puis après tu t’es habitué… Tu vois ce que je dire ? On s’habitue à tout…

Avant de conclure, je voulais te partager ce qui me plaît beaucoup dans tes projets, au-delà des styles musicaux qui s’y retrouvent. Pour moi, on y ressent un attachement fou à la musique et, de ça, se dégage une énergie positive, hyper communicative. Et ce quel que soit le discours des paroles, j’imagine une fois encore que ce n’est un pas truc qui est réfléchi…

Ah non frère, c’est mon amour de la musique qui parle. Et comme tu dis ça sort spontanément, par pure excitation. Vraiment, par pure excitation ! Je raconte ma vie, je raconte ma life, des actions qui peuvent m’arriver avec des meufs, avec des darons, des embrouilles, des trucs drôles… C’est juste mon kiff de la musique qui sonne bien. J’aime bien quand ça sonne, quand ça s’harmonise, quand ça se rentre dedans. C’est une belle analyse, on ne me l’avait jamais dit. On m’a déjà dit que j’avais une énergie communicative mais que ma musique fasse ressortir le fait que j’aime bien le son et que ce soit communicatif non, donc ça fait plaisir, c’est cool !

C’est quoi la suite pour toi ?

Pas de trilogie de clips mais sûrement un deuxième, des scènes, des visuels lives… Pour les concerts, j’ai plusieurs formations : seul, avec un batteur ou avec un batteur, un guitariste et un claviériste, on travaille ce format-là. Et… vas-y je vais en parler, faut bien commencer ! Des sons electro, car avant de faire tous ces sons rocks j’ai fait un album électronique-rap-rock, sur des beats vraiment plus électroniques que j’ai produits. J’ai envie de montrer ce que Battaglia a derrière la tête… Donc peut-être pour cet été ! Et sinon je suis déjà en train de bosser sur l’EP numéro trois ou sur l’album, je ne sais pas encore…  Aussi, ça me tient à cœur de remercier tous les gens qui travaillent avec moi sur le projet que ce soit la prod, les clips, la DA, les photos, les concerts, car on est toute une équipe sur ce projet. Je tiens vraiment à les remercier, eux qui croient au projet car ce n’est pas tous les jours évidents quand on est indépendant. Mais ce n’est que le début !

Merci à toi Battaglia.

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