Désormais reconnue dans l’univers du rap grâce à ses collaborations avec des artistes dont elle a accompagné le succès (Nekfeu, MHD,…), Élisa Parron a ensuite élargi ses horizons artistiques en collaborant avec le PSG afin d’y immortaliser ses stars. Son travail se retrouve dans l’ouvrage Numéro 10, sorti récemment…
Photographe de talent, à l’aise dans les salles de concerts comme dans les stades de foot, Elisa Parron est de ces femmes de l’ombre qui font le rap français : vous avez forcément déjà vu son travail quelque part. Mélangeant astucieusement photo de concert et portraits de footballeurs, elle nous fait pénétrer dans les coulisses de son univers avec Numéro 10, un livre qui a pour ambition de faire le lien entre le foot et le rap (ses deux passions), mais qui sert également de témoignage sur son parcours artistique et humain.

Foot et rap, quels rapports tu entretiens avec les deux?
La musique a toujours fait partie de ma vie, j’étais musicienne à l’époque. Plus jeune, j’ai fait du solfège et je jouais de la harpe. Et en grandissant j’ai écouté beaucoup de rap donc j’ai un lien hyper naturel à cette musique.
Et pour le foot, mon papa était footballeur à l’époque et très fan de foot donc il m’a vraiment transmis ça. Et lorsque j’ai commencé la photographie, je voulais voir ce qui me plaisait dans la photo et les premiers trucs c’était les concerts et les matchs de foot. C’était un peu un hasard, mais je pense que ma sensibilité à ces deux disciplines a joué.
C’était ton ambition à tes débuts de jouer un rôle dans ces deux univers?
Non, non c’était vraiment simplement pour tester. Moi, à la base je voulais juste voir si j’aimais shooter les concerts, je ne me suis jamais dit que je voulais faire ça de ma vie. Je voulais m’amuser, voir ce que je valais et ce que ça rendait en photo.
Le lien entre foot et rap est évident pour toi? Comment l’expliquerais-tu?
Oui, je le trouve évident parce-qu’en côtoyant et travaillant avec des footballeurs ou des rappeurs, je les trouve très semblables en terme d’énergie. Ils aiment généralement autant le foot que le rap, autant les uns que les autres d’ailleurs. C’est des mecs qui ont vécu des success stories et qui gagnent leur vie en vivant de leur passion. Tous ces points qu’ils ont en commun me donnent à chaque fois l’impression d’être dans le même univers, même si ce ne sont pas les mêmes disciplines.
Quelle place occupe la photographie pour toi dans ces deux disciplines?
La photo, c’est comme une sorte de témoignage. Je témoigne de ce qu’ils font avec des images. Et surtout, grâce à ça, je peux montrer certains aspects que eux-même ne mettent pas forcément en avant, comme les backstages par exemple. Tout ça permet de mieux les comprendre et de les rendre plus humains.
Pourquoi avoir choisi le titre «Numéro 10» pour ce livre?
En 2015, j’avais fait une première exposition qui s’appelait « Numéro 10 » et c’était déjà sur le thème du foot et du rap. J’adore ce terme là parce-qu’il réunit les deux disciplines. Le numéro 10 dans le foot est souvent porté par les meilleurs joueurs, c’est un symbole. C’est un numéro qu’on retrouve souvent sur les maillots des rappeurs lors des concerts pour rappeler qu’ils sont les meilleurs, dans un souci d’égotrip.
Pour la petite anecdote, c’est Clément de Animalsons, rencontré lors de la tournée des Casseurs Flowters (Ndlr – groupe composé d’Orelsan et Gringe) qui m’a conseillé au début de ma carrière de venir à Paris pour élargir mes opportunités. Et c’est aussi lui qui a produit le morceau « Numéro 10 » de Booba. La boucle est bouclée.

Qu’est-ce qu’un « Numéro 10 » à tes yeux?
C’est quelqu’un qui se dépasse, qui donne toujours tout pour être le meilleur. Une personne qui va plus loin que ce qu’on lui demande et qui cherche la meilleure version de lui même. C’est quelqu’un qui utilise son talent à bon escient et sans arrogance.
Te considères-tu comme une « Numéro 10 » dans ton domaine? Ou, as-tu cette ambition pour le futur?
Non, je ne me considère pas du tout comme une « numéro 10 », je trouve ça bizarre de se dire ça, je suis humble. D’ailleurs, ce serait bizarre quelqu’un qui s’auto-proclame « numéro 10 ». Je me compare beaucoup avec les autres, et je vois qu’il y a des photographes qui font des trucs incroyables. On fait tous des trucs vraiment bien, on amène notre propre vision mais j’en mettrai pas un au-dessus des autres. C’est artistique, pas une compétition.
(Et par rapport à la définition que tu donnes toi-même d’un « numéro 10 »?)
Des fois, je l’ai été, mais je ne le suis pas à chaque fois. J’essaie bien sûr de l’être le plus possible, tous les jours.
Comment as-tu sélectionné les artistes rap qui apparaissent dans le livre?
J’ai travaillé pendant presque 10 ans à suivre les artistes, donc j’ai choisi les photos de ceux avec lesquels j’ai le plus collaboré, genre MHD, Rilès, … Et, c’est aussi parce que j’ai un lien particulier avec eux, parce-qu’on a partagé beaucoup de moments ensemble. Et j’avais tellement d’images en stock, j’ai choisis mes meilleurs images à chaque fois. Donc, c’est vraiment ceux qui ont fait parti de mon parcours de photographe.
Tous ces artistes avec lesquels tu as collaboré rentrent-ils dans ta définition d’un « numéro 10 »?
Oui, ils m’ont tous énormément appris. Ils sont hyper inspirants et talentueux dans leur domaine respectif. Que ce soit MHD ou Nekfeu, que j’ai connu à leurs débuts et qui ont réussi à s’imposer, ou même Booba, que j’ai suivi beaucoup plus tard; ils ont en commun d’avoir une force, un vrai mental et ils savent où ils veulent aller.
Est-ce que tu connais des artistes qui ont eu une carrière de footballeur et qui se sont reconvertis dans le rap?
Pas trop, je n’en connais pas vraiment… Après oui ,je sais qu’il y en a, qu’il y en a qui le font mais je n’en connais pas particulièrement…
(Là je pense tout de suite à Sefyu, Sam’s ou sur la jeune génération Dinor ou Guy2Bezbar…)
Oui, c’est vrai, moi je pense à Moise Kean qui aime beaucoup la musique et qui se trouvait souvent en studio avec des amis producteurs, et il y a Memphis Depay, aussi qui a fait des sons il me semble. Donc oui, il y en a et c’est normal. Comme je l’ai dit quasiment tous les rappeurs aiment le foot, et inversement.

N’aurait-il pas été pertinent de les avoir dans ce livre qui a pour ambition d’établir le lien entre ces deux disciplines?
Mon parti pris a été de faire un livre qui reflète ma carrière, et c’est en shootant les rappeurs et les footballeurs que je me suis rendue compte de leur ressemblance. Ce livre parle simplement de mon parcours sans avoir pour ambition d’écrire un « livre documentaire » sur les liens du foot et du rap.
Effectivement, le lien entre foot et rap est évident. En tout cas, ça parle à beaucoup de gens, pour preuve, de nombreux focus ont déjà été faits pour mettre en lumière ce lien. Je pense notamment au documentaire « foot et rap, nés sous la même étoile ». T’es-tu imprégnée de ces précédents? Et qu’as-tu souhaité apporter de plus par rapport à eux?
Oui, j’ai vu passer quelques trucs, évidemment des documentaires, même dans le livre j’ai utilisé quelques citations de journalistes qui parlent de ce lien entre les deux univers.
Mais dans le livre, j’ai voulu apporter ma touche perso: le livre s’ouvre dans les deux sens avec un côté sur le foot, et l’autre sur le rap, je les mets en parallèle et les fait se rejoindre au milieu du livre. J’ai donc voulu montrer les ressemblances, que ce soit dans le lifestyle, les postures, puis mettre en avant l’énergie similaire que les rappeurs et footballeurs dégagent visuellement.
La plupart des documentaires qui allient foot et rap se penchent très souvent uniquement sur le côté masculin de ces deux disciplines et c’est également ce qui transparaît dans ton livre. Et il y a un débat très actuel sur la faible place médiatique octroyée aux femmes dans ces deux disciplines (et plus largement). Est-ce que tu t’es posée cette question de la représentation féminine en élaborant ton livre?
Oui, je me suis forcément posée la question, mais il est vrai que j’ai shooté beaucoup plus d’hommes que de femmes dans le cadre de mon travail. J’ai collaboré avec des artistes féminines, mais avec très peu de sportives. J’avais donc moins de matière et puis comme ce livre raconte mon parcours, il devait être représentatif de mes collaborations. Et c’est un fait de société, j’ai plus collaboré avec des rappeurs et joueurs du PSG.
Mais je pense que mon prochain livre mettra plus en avant le travail des femmes, c’est quelque chose que je souhaite vraiment faire. Et puis, les femmes, même si elles ne sont pas mises en avant dans ce livre, sont tout de même présentes dans ces milieux, à d’autres niveaux de responsabilités.
On parlait justement du peu de représentations des femmes dans ces milieux. Penses-tu qu’être femme et photographe te permet d’apporter un autre angle, un « plus » dans ton regard artistique sur ces deux disciplines?
Je ne sais pas, si le fait d’être une femme apporte un truc en plus. Je pense que c’est simplement mon énergie qui me permet de créer une relation de confiance avec ceux avec qui je travaille. C’est plus un truc personnel que lié à un genre.
(tu ne te sens pas investie d’un rôle particulier?)
Non, franchement je n’ai pas cette éducation où l’on départage les hommes et les femmes, alors oui, effectivement je remarque qu’il y a moins de femmes dans ces milieux, mais je n’ai jamais eu de problème, ni un avantage spécial parce-que je suis une femme. Selon moi, il fallait juste oser sans penser que je n’aurais pas ma place. En tout cas, je n’ai pas senti que les portes étaient fermées pour moi.
(Par ton travail tu ouvres potentiellement la porte à d’autres…)
Oui, ça, je l’ai constaté plusieurs fois, il y a des gens qui ont besoin de voir de la représentation. Plein de jeunes filles me disent que si elles ne m’avaient pas vu faire ça, elles n’auraient pas osé se lancer. Je trouve ça franchement génial, et tant mieux si j’ai pu motiver et donner du courage à d’autres femmes de le faire. Mais, pour ma part lorsque je me suis lancée, j’étais guidée par l’envie de faire, sans me poser la question de la part de représentativité des femmes dans ces milieux.
Les photographies que tu as faites de certains artistes, je pense notamment à Nekfeu et MHD, ont contribué à te faire connaître. C’était important pour toi qu’ils apparaissent dans ce livre?
Evidemment, parce-que c’est énormément d’années de ma vie. J’ai rencontré Nekfeu et son groupe en 2012, j’ai partagé beaucoup de moments avec eux donc pour moi il fait partie de ma carrière. Les premiers concerts que j’ai shooté étaient ceux de 1995, je n’avais pas d’expérience. Ce livre relate ma carrière, donc il est évident qu’il doit y apparaître.
C’est pareil pour MHD que j’ai rencontré au tout début de sa carrière, dont je suis toujours proche, il était donc certain qu’il ait sa place dans ce livre.
Il y a également Rilès qui apparaît beaucoup dans le livre, puisque c’est un artiste avec lequel je collabore sur son label, je fais aussi partie de sa team management.

Un rappeur comme MHD qui a connu des turbulences ces dernières années (je pense notamment à ses affaires judiciaires pour lesquelles il est important de préciser qu’il est présumé innocent), t’es-tu posée la question de sa place dans ce livre au regard de la place que prend la « cancel culture » ?
Je comprends que ce soit un sujet compliqué, je ne pense pas qu’on ait le temps de l’évoquer avec tout le soin qu’il mérite. Mais personnellement je ne me suis pas posé la question de sa place dans ce livre. Je suis photographe, j’ai collaboré avec plein d’artistes, dont il fait partie, il devait être dans ce livre, qui a pour but d’illustrer mon parcours de photographe.
Du coup, quel rapport tu entretiens à ton art, notamment vis à vis de ce que tu diffuses en tant qu’artiste?
C’est intéressant.. J’ai toujours voulu faire ressortir les émotions, que mes photos permettent de replonger dans les moments où elles ont été prises. Comme je le disais en début d’interview, c’est un témoignage. J’ai aussi toujours souhaité sublimer les gens, et pour les rappeurs et footballeurs montrer la douceur qu’il peut y avoir chez eux et casser l’image qu’on peut avoir d’eux habituellement. Pour moi, ce sont des gens passionnés et c’est ce que je souhaite faire ressortir chez eux.
Ce n’est jamais anodin de faire un livre et plus largement lorsqu’on s’engage dans un processus créatif, parce-qu’on prend le risque de parler de soi et c’est ce que tu fais un peu dans ce livre. Alors d’un point de vu personnel, que représente ce livre pour toi?
C’est comme un grand résumé de mon travail, qui me permet également de faire le point dans ma carrière, en rassemblant tout mon travail dans un objet réel, physique. J’ai pu faire des expos auparavant, mais ce n’est pas tout à fait la même chose, le livre me permet de faire une grosse rétrospective et de me rendre compte de tout ce que j’ai pu réaliser jusqu’ici.
Ça me permet aussi de me poser la question de mes envies pour la suite. Je ne pense plus être capable de partir sur de longues tournées en suivant les artistes, comme j’ai pu le faire auparavant; mais je continuerais évidemment à collaborer avec certains d’entre eux comme Rilès ou MHD.
Comme je le disais j’ai envie de photographier plus de femmes, et explorer d’autres choses et ce livre m’a fait me rendre compte de ça.
C’était donc un point d’étape, quels sont tes projets pour la suite ?
Peut-être aller plus vers la mode, faire des « éditos », mais surtout rester humble et continuer à faire de belles rencontres. J’ai beaucoup de chance de faire un travail dans le lequel je me sens épanouie et qui ne me donne pas vraiment l’impression de travailler, donc je souhaite que ça continue comme ça.
« Numéro 10 » d’Élisa Parron, sorti le 15 décembre 2021 est disponible ici