[Interview] San-Nom : « mon triptyque de chansons, c’est le même que Renaud »

San-Nom, rappeur originaire de Reims, sort (enfin) son premier album Silence le 7 octobre. On a eu l’occasion d’en parler en longueur avec le principal intéressé, et de décortiquer un peu son triptyque chansons politiques – chansons d’amour et chansons drôles (qu’il tient de Renaud, rien que ça)

LREF – Cela fait longtemps que tu travailles sur l’album, on le sait. Là il sort enfin, comment tu l’as travaillé ? Dans quelle temporalité tu l’as écrit ? Combien de temps cela t’a pris ?

San-Nom : Juste après avoir sorti Rien (2020, Sony Music), moi j’étais tout de suite reparti sur une suite, un autre projet que j’ai fais en un mois ou deux. Et on a tout jeté. [rires]. Je fais toujours ça de toute façon, je fais un projet dans le vide après chaque truc. Je voulais faire un projet super golri, et on m’a dit « bah non faut pas faire ça », du coup j’ai décidé de tout jeter. Le titre devait être « 11 titres potentiels » ou 12, et c’était que des espèces de faux tubes à la con. Moi ça me faisait rire, mais visiblement les gens n’ont pas compris ce que je voulais dire.

Du coup on l’a jeté, et j’ai juste gardé Saint-Tropez [qui est dans l’album Silence], et j’ai fait un album full sérieux. Parce que j’ai eu une petite période de « down », et je me suis dit que j’en avais marre de passer pour le fanfaron de service. Je voulais leur montrer -et me montrer- que je pouvais faire un truc sérieux, sans dire trop de conneries – même si j’en dis un peu, sinon c’est pas moi.

En soi, j’ai jamais mis autant de temps à faire un projet. D’habitude ça me prend deux, trois mois, et là j’ai mis plus d’un an, avec son lot de nuits blanches et de soirée à péter un câble à pas arriver à faire ce que je veux faire… J’avais un concept qui trop de place dans mon esprit, j’arrivais pas à faire des chansons… Et un soir en discutant avec un ami, il m’a dit « enlève le concept de ta tête, fait juste des chansons et ça ira ». Et c’est ce que j’ai fait, et ça a marché. Et après, en repensant mon concept, je me suis rendu compte qu’en mettant les morceaux dans un certain ordre, on le retrouvait.

Mais en clair, grosse galère. J’en pouvais plus de cet album, il m’a rendu malade. Mais là ça va. Cela fait plus d’un an qu’il est fini maintenant.

Mais c’est ce que tu disais sur tes réseaux sociaux pour l’annonce de l’album, il a eu plein de versions différentes

Oui c’est ça. Y’a des morceaux qui ont eu 5 prods différentes. Mais à un moment faut trancher. En soi une œuvre n’est jamais finie. Même pour le mixage : tu peux corriger ou avoir une autre idée à l’infini, et ça peut ne jamais sortir. Donc une œuvre n’est jamais finie. Là je peux repartir 6 mois avec les mêmes morceaux, et je t’assure que le résultat serait radicalement différent.

Dans Silence, que ce soit fantasmé ou non, on a l’impression que tu donnes beaucoup de toi, de tes sentiments etc. Il y a notamment beaucoup de morceaux liés à une potentielle relation amoureuse que tu nous décris, et ça tranche avec ce que tu pouvais faire avant. Est-ce que c’était important pour toi de parler un peu de toi ?

En soi je parle pas tant que ça de moi dans l’album. C’est plus un « moi » du confinement, remémoré. Moi j’ai du mal à écrire mes sentiments sur le coup. C’est toujours un an après, j’y repense, et je te parle du moi de cette époque. J’ai l’impression que pour l’album, c’est pas moi qui parle, c’est un personnage. Tout le long.

Justement, moi j’en avais marre des gens qui parlent que d’eux, et je voulais raconter la vie des gens. Hormis sur la fin de l’album, où je me livre un peu plus. Moi j’ai vraiment construit l’album comme si c’était un mec qui regardait la télé, et chaque chanson c’est une programme qu’il zappe. Et y’a qu’à la fin de l’album où je me livre plus, parce que là le personnage défonce sa télé, et je dis beaucoup plus « je ». Alors que dans les autres morceaux, j’utilise moins le « je ».

Après ça c’est moi qui comprend ça. Je suis sûr que y’a des gens qui ont travaillé dessus et qui n’ont toujours pas compris qu’il y avait un concept – moi j’ai besoin de ça dans la tête, mais qu’on comprenne je m’en fiche éperdument. Mais c’est pas grave [rires]. S’il faut l’expliquer je peux l’expliquer.

On va parler du titre un peu. C’est intitulé Silence, il y’a un morceau qui se nomme Ferme ta gueule, tu prônes le fait que les gens devraient moins se plaindre, moins parler… Mais paradoxalement c’est un album très dense, avec énormément de texte et de richesses dans les prods. Est-ce qu’il n’y a pas un paradoxe à rechercher le silence avec de la musique ?

Alors. Le titre je l’ai depuis longtemps. Parce que y’a eu un moment, surtout pendant le Covid… [pause]. Je déteste les gens qui parlent du Covid, mais je vais le faire [rires]. Nan mais y’a plein de gens qui donnaient leur avis sur tout, des gens pas qualifié… Et on le fait tous, moi le premier… Mais y’a un moment où je me suis dit « fermez vos gueules, vous ne savez pas de quoi vous parlez ». Et c’était un sentiment général de recherche du silence. De se taire et d’écouter les oiseaux chanter.

Sauf que moi c’est paradoxal, parce que je fais de la musique et j’ai besoin d’en entendre tout le temps, et le silence me fait peur. Et c’est tout le paradoxe de cet album. Et même moi, je ne suis que paradoxe : je fuis l’amour et j’en ai besoin, ce genre de choses. Donc « silence », c’est un sentiment général, et au final je ne sais pas si j’aime le silence. Ça me fait peur, j’ai besoin d’écouter de la musique, d’entendre les gens parler… Donc oui, c’est un grand paradoxe, mais j’ai un vrai problème avec les paradoxes.

Finalement, y’a une phrase sur le disque qui résume bien ça, quand tu dis sur 4.33 : « Si on a deux oreilles, c’est pas pour subir des journalistes vides, ni des ministres, mais pour écouter des vinyls de Three Six ou d’entendre nique les vil-ci ».
J’adore ces lignes d’ailleurs.

Mais oui c’est ça. J’aime beaucoup ces lignes aussi.

Dans ton album, les références et les influences sont très éclectiques : tu fais des rimes sur la Three Six mais aussi sur Aragon par exemple. Ça donne l’impression que tu es très curieux dans la vie de tous les jours…

J’essaie en tout cas. Là par exemple je me suis découvert une passion que je n’avais pas avant, pour le cinéma. Là j’y vais dès que je peux, même juste avec l’affiche, sans connaitre le film. Et oui, sinon je traîne dans les médiathèques ; je regarde des interviews de gens tout le temps ; j’ai envie de voyager aussi. J’ai besoin de découvrir des choses. De découvrir le monde.

Et d’une manière ou d’une autre, cet éclectisme il se voit aussi dans tes instrus et tes productions…

Oui ça c’était une volonté. J’ai envie d’essayer plein de choses, et surtout je déteste faire plusieurs fois le même morceau. A chaque morceau on s’est dit qu’on allait essayer d’aller le plus loin possible –dans SI J’ETAIS PAS NE la rythmique change quatre fois par exemple. Moi j’ai très peur qu’on s’ennuie en écoutant ma musique. Donc on s’est pris la tête pour éviter ça. Parfois peut-être que ça fait trop d’éléments, mais c’est pas grave [rires]. Mais j’ai l’impression qu’on a dosé – enfin, on m’a canalisé.

HAMINGJA par exemple, aurait pu durer le double de temps – j’avais le double de texte. Mais on m’a canalisé, et c’est mieux comme ça. C’est plus cohérent. Mais c’est comme ça sur tous les morceaux : j’avais le double de texte.

Et cette fois-ci, avec mes deux acolytes, on a bossé au moins autant les prods que les textes. C’est au moins aussi important sur celui-ci. HAMINGJA, par exemple, y’a des dizaines de versions : c’était un chantier pur cette prod. Mais de manière générale, je me suis découvert très perfectionniste sur cet album et sur les prods. Là on m’a envoyé des V13 parfois du mix…

A tord ou à raison, on peut lire un peu partout sur les sites de vente de ton disque que tu serais la fusion entre Vald et Renaud [ndlr : c’est notamment le cas sur le site de la Fnac]. Alors, heureux ?

Alors. Avec Vald, j’ai écouté son dernier album… Aucun lien, fils unique. Moi je sais ne pas quoi penser de ça. Les gens, ça les rassure de comparer, donc rassurez-vous si vous voulez. Par contre, l’influence Renaud, oui. Ça c’est clair, je la revendique et je l’assume. Et y’a des morceaux où je me suis demandé si ce n’était pas trop proche – même si au final je ne pense pas.

Pour rester dans l’influence Renaud, ton disque a tout de même une connotation politique…

Ah oui complètement. Si c’est un peu un album politique, quand même. Du moins, ça en parle pas mal. J’ai toujours voulu faire des morceaux un peu « sociétaux », mais il a fallu que je trouve des formes un peu plus convaincantes, et que je murisse un peu. Mais les chansons sociétales, anarchistes, ou simplement la chanson française contestatrice, c’est des choses que j’ai toujours écouté. Même si parfois, on enfonce des portes ouvertes, mais c’est pas important.

Et ça faisait longtemps que je voulais en faire. Mais il faut trouver la bonne forme. Et c’est plus difficile à écrire que de l’egotrip avec des références – ça c’est la cour de récrée. Mais c’est la seule contrainte que je m’étais imposé avec cet album : pas d’egotrip. Pas parce que j’aime pas ça, mais je n’en voulais pas dans l’album.

Et Renaud, pour revenir à lui, il avait un triptyque où il disait : « j’arrive pas à sortir de ce schéma. Soit c’est une chanson tendre, soit c’est une chanson drôle, soit c’est une chanson énervée ». Et moi aussi, j’ai ces trois trucs – tu peux regarder dans l’album.

Justement, parlons des morceaux plutôt tendres, voire d’amour… Comment toi tu écris ces chansons-là ?

C’est à appréhender difficilement. Moi je ne m’impose rien, mais quand tu comprends que tu pars vers ça, tu dois faire attention. Moi les chansons d’amour, j’adore ça, mais quand c’est bien fait – sinon c’est horrible. Et plusieurs fois là je me suis dit « oh, là c’est parti, tu mets le doigts dedans ». Et je pense que j’ai écris énormément de phrases où je me suis dit « je peux pas dire ça ».

Et alors, ce qui reste toujours dans ta musique, y compris dans tes visuels, c’est ton sarcasme, ton humour, la tonalité caustique : en clair, le troisième pilier de Renaud.

Alors ça c’est les morceaux où je n’ai même pas besoin de réfléchir, tellement ça vient naturellement. Au fond, je suis quelqu’un d’assez pessimiste, et le cynisme, l’humour, c’est mon rempart à tout. Je ne sais plus qui a dit que « l’humour, c’est la politesse du désespoir » [ndlr : Dominique Noguez, écrivain, a rétabli la parenté de la citation à Chris Marker], mais c’est très vrai. C’est peut-être de la fuite, je n’en sais rien.

Ce serait quoi ton épitaphe idéale ?

[Après réflexion]. Un truc qui n’a aucun sens. « Refermez la porte ».

T’en penses quoi au final de ton disque ?

Franchement c’est très simple ce que je vais dire, mais il est bien mon disque. Je suis content. J’aurai eu tout le temps de le détester, il est prêt depuis un an, et je le déteste toujours pas.

Merci, San-Nom.

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