Dans nos yeux de Ben PLG fait partie des albums de rap français les plus sincères de l’année 2020. Sa pochette répond à la même exigence de vérité. Plus qu’une illustration, elle constitue le décor de l’album, et nous plonge directement dans les yeux interrogatifs du rappeur, et de ceux qui l’entourent. La réalisatrice Anastasia Salomé, photographe de cette pochette, nous raconte l’histoire d’une image qui met sous les feux des projecteurs les Français invisibles. On vous livre son récit, étape par étape.
Sa rencontre avec Ben
J’ai fait des études dans l’audiovisuel, mais c’est via des amis en commun que j’ai rencontré Ben, il y a quatre ans. Il encadrait à ce moment-là des séjours de vacances pour adultes handicapés mentaux. J’ai postulé pour travailler avec lui sur un de ces séjours, je suis allée bosser avec lui là-bas, et j’ai pris beaucoup de photos. Il a aimé mon travail, et m’a proposé de faire des photos sur un de ses clips. Depuis, on bosse tout le temps ensemble, des concerts aux pochettes, en passant par les clips. C’était naturel, du coup, que je travaille aussi sur la pochette de l’album.

Le choix du lieu
C’est un kebab emblématique de Lille, dans le quartier de Wazemmes, qui s’appelle l’Aspendos. C’est le kebab de quartier, populaire, où tout le monde va. On voulait rester dans la lignée des clips qu’on avait sortis, et surtout être fidèles à l’état d’esprit de l’album. Tout le projet de Ben tourne autour des gens qui se croisent, de la vie de tous les jours.
Au départ, j’avais plein d’autres idées. Des photos à la plage, des corons… Mais pour Ben c’était évident : il fallait un PMU ou un kebab. Un lieu qui lui ressemble, et qui ressemble à ceux dont il parle dans son projet. A l’Aspendos, on avait nos habitudes, on connaissait les serveurs. Ben aime ce lieu et le trouve authentique. C’est comme ça qu’on l’a choisi.

On a gardé le lieu tel quel, on a juste un peu bougé le mobilier. Le seul élément qu’on a truqué, c’est incruster la panenka de Zizou dans la télé.
Les figurants
Ben voulait vraiment que sur sa pochette on retrouve tous les gens dont il parle sur son projet. Il fallait que ça soit hyper large, du SDF que l’on croise dans le quartier, au petit rappeur de cité qui se débrouille pour gagner sa vie. La femme que l’on voit avec son bébé, c’est une amie à nous, avec son enfant.
Il y a aussi une dame handicapée, avec qui on avait fait des ateliers de musique et de vidéo. Elle avait adoré cet atelier, et du coup, dès qu’on a eu le projet, on l’a appelée. C’était quelque chose d’important qu’elle soit là pour Ben, qui travaille avec ce public depuis dix ans, et en parle dans son album.
On avait le contact de la plupart de ces connaissances, donc c’est allé assez vite. Le plus difficile à trouver, c’était le SDF du quartier de Wasemmes. Il fallait le croiser par hasard, et on l’a pas mal cherché.
L’idée était de représenter plein de gens différents que l’on connaissait, un panel. On a voulu montrer les gens que l’on croise tous les jours, sans être faux. Ben n’a pas grandi dans une famille blindée, et il a voulu montrer des gens au visage atypique, qui galèrent. Le but n’était pas de susciter le rire ou la moquerie. On a cherché à mettre en valeur les gens.
De leur côté, ils étaient fiers, flattés. C’est un beau moment qu’on a passé tous ensemble, une belle expérience pour eux, d’être devant les projecteurs, les lumières.
Le jour du shooting
C’est arrivé assez vite. Entre le jour où Ben m’a contacté pour faire la pochette, et celui où on l’a réalisée, il y a eu deux semaines. On était tous les deux dispos à ce moment-là, mais on n’avait pas beaucoup de temps. Ben a contacté les figurants, le lieu, et de mon côté j’ai préparé le dispositif technique.
Une fois dans le kebab, on avait un créneau d’une heure. C’était un peu serré, donc on a testés plein de possibilités. On a fait plusieurs poses, en repositionnant les gens de différentes manières. Ben a pris différentes attitudes face à la caméra, son manager Ludo gérait un peu cette partie-là. C’est après coup qu’on a choisi la photo. Ce qui était important pour nous, c’était le côté tableau, et d’avoir des regards face à l’objectif – par rapport au titre de l’album, mais aussi parce que dans un regard on peut dire plein de choses. On s’est inspiré du premier clip du projet Ton âme (à regarder ici), qu’on avait déjà sortis : on voulait une cohérence entre les différents visuels de l’album.
Après la pochette
J’ai toujours fait davantage de vidéo que de photo, et je pense être davantage tentée par les clips que par les photos. Après, évidemment, si un rappeur vient me voir pour faire sa pochette, ça tuerait. Et les clips, ça, j’espère en faire plein.