Adepte des albums cinématographiques, Laylow était attendu après le succès commercial et critique de Trinity. La tâche n’était pas aisée pour Jey : affirmer sa place dans le rap français et surtout faire mieux ou aussi bien que son précédent projet… C’est donc un an et demi plus tard que Laylow nous dévoile, L’étrange histoire de Mr. Anderson. Une nouvelle fois, c’est un album concept, mais sans l’univers digital qui le définit depuis ses débuts. Voulant marquer son époque, Laylow avait annoncé la sortie de son projet avec un court-métrage, dévoilant étrangement son double maléfique qu’est Monsieur Anderson. Alors, Laylow a-t-il réussi son coup ?
Quelques heures avant la sortie de l’Etrange Histoire de Mr. Anderson, Laylow avait affirmé que son projet ne serait pas en adéquation avec l’été et ses thèmes ensoleillés. Non, le rappeur est à contre-courant. Il avait annoncé un album qui ne parle pas à tout le monde, rempli de mélancolie et de tristesse. Toute cette noirceur découle sur une morale : s’écouter soi-même, suivre son chemin et créer sa propre histoire…
En parlant à personne, Laylow s’adresse à tout le monde
Personnel, le sixième album studio de Laylow est peut-être celui qui parle le plus au public. Que ce soit au niveau des sonorités, des multiples prouesses techniques ou bien du propos. Laylow s’exprime sur son vécu et toutes les difficultés qu’il a dû affronter au cours de sa vie. Ce thème parle à tout le monde, encore plus avec la période sanitaire récente. Pour ce faire, Jey a décidé de faire les choses en grand. C’est ainsi que la vague belge avec Damso, Hamza, la vague française avec Nekfeu, Alpha Wann, Wit., la vague américaine avec Foushée et celle britannique avec Slowthai sont tous conviés sur le projet. Du côté des beatmakers, on retrouve également des noms plus que ronflants: Easy Dew, Sofiane Pamart, Ikaz Boi, Dioscures, Ponko, Binks Beats ou encore Prinzly apportent leur pierre à l’édifice.
Moins futuriste et fictif que lors du premier voyage, il s’agit cette fois-ci d’un pèlerinage intérieur et de la découverte de sa deuxième personnalité, appelé Mr. Anderson. Une nouveauté qui, au premier abord, ne semble pas pouvoir lui venir en aide dans ses difficultés personnelles. Dès l’introduction, les bases sont posées : on ne sait pas si l’histoire qui est en train de nous être racontée est un rêve ou une réalité… (Le bruit du réveil au début du premier interlude alimente le débat.)
Le double maléfique
Très rapidement, on se demande à quoi sert ce double maléfique. La mission de ce dernier est simple : faire comprendre à Jey qu’il est spécial.
Tout au long du projet, Mr. Anderson ne cesse de lui répéter « qu’il a quelque chose de plus que les autres« . À chaque fois, Laylow l’ignore, s’en méfie, et le repousse à plusieurs reprises. C’est au morceau Voir le monde brûler que Laylow a un déclic. Il finit par se rendre compte qu’il est atypique:
Quand tu t’regardes dans l’miroir avoue que tu t’reconnais pas
Tu t’dis qu’c’est la vie et qu’la vie ça doit être une pétasse
Qui t’as laissé en plan et qui t’as même pas donné des chances
Et puis t’as chaud, et puis t’as chaud
Comme si c’était pas assez, voilà qu’ta daronne toque (ouvre-moi cette porte)
T’as l’impression que y a l’monde entier qui veut ta peau (ouvre)
L’impression qu’t’es solo dans l’océan sur un radeau
Mais tu t’regardes dans l’miroir et puis tu t’dis qu’ça sera toi négro, ça sera pas un autre
VOIR LE MONDE BRULER – Laylow
Il l’affirme même ouvertement sur le morceau Spécial en featuring avec Boushée et Nekfeu. C’est d’ailleurs un joli clin d’oeil au morceau DRAM Sings Special, présent sur l’album Coloring Book de Chance the Rapper.
Wow, ils veulent tous te faire la guerre parce que t’es spécial
Wow, faut faire la monnaie, faire très très vite
Tes chances de tout niquer rétrecissent
Mais tu t’emballes et t’es intrépide
Tu ne veux jamais faire comme les autres
Mais des fois tu l’fais pour tuer l’time
Des petits bails, un peu de détails
Même si tu sais qu’tu vaux mieux qu’ça
Négro, t’es spécial, négro, t’es la-c’lui
Qui peux tout changer, qui peux mettre le mouv’ à la mode
SPECIAL – Laylow feat Nekfeu & Foushée
C’est au fil des péripéties et épreuves endurées par Laylow que ce dernier apprend à accepter la présence et les conseils de son double intérieur. La complexité de leur relation est relativement bien retranscrite et mise en avant. Un parallèle est même créé entre sa relation qui s’améliore avec son double et l’éloignement de ses “vrais amis” qui ne le soutiennent pas assez.
– Laylow : Frère, c’est trop vous, le monde y pourrait s’écrouler là et j’sais pas, vous bougerez pas d’un poil. Quoi, vous êtes contents d’vos vies ? Ça fout rien d’la journée, vous êtes là, tout va bien genre ?
– Ami 2 : Oh qu’est-c’qui t’arrives toi ?
– Ami 1 : Quoi toi ? Tu crois t’es mieux ? T’as d’l’oseille ? T’as quoi d’plus que nous ?
– Laylow : Bah moi, j’ai des rêves au moins
– Ami 2 : Quoi ? Tu parles d’ta musique là ? T’es un abuseur
– Ami 1 : Tu crois encore qu’tu vas percer ou quoi ? Ça va nulle part ton truc là, on t’le dit pas pour pas te vexer frère mais quand j’vois comment tu t’y crois, c’est mieux j’te remets la tête sur les épaules là
TU COMPRENDS MAINTENANT ? – Laylow
Le court-métrage mis en ligne il y a quelques semaines, permet d’éclairer certains aspects encore incompris et sombre de l’album. Laylow et Mr. Anderson sont deux facettes d’une seule et même personne : cette dualité est poussée à l’extrême tout le long du projet. Jey est la partie rêveuse parfois flemmarde, mais remplie d’ambitions. Mr Anderson est celui qui permet à Jey de réaliser ses rêves et par exemple d’aller au bout de ses idées avec ce nouvel album concept.
Croire en ses rêves et en son élévation personnelle
L’évolution et l’acceptation de soi sont les deux thèmes omniprésents dans l’album. Laylow les met habilement « en images« , racontant différents moments de sa récente jeunesse, lorsqu’il n’avait pas encore trouvé son chemin.
Fuck un lever du jour, j’attends l’lever du shlag
Ouais, fuck, là, j’maudis ma life, j’té-ma la lune, là, j’crie comme un loup, ouh ouh
IVERSON – Laylow
Toute ma vie, j’suis dans l’sas, j’attends juste mon tour
Mais j’vais pas vous mentir, bien sûr j’voudrais faire mieux
IVERSON – Laylow
Comme tout le monde, Laylow a eu des idoles, des artistes dont il était fan. Si certains ont parfois honte d’avouer leurs influences, Jey assume. Un hommage assez important est fait au rappeur américain 50 Cent, grâce aux morceaux Window Shopper Part. 1 et Window Shopper Part. 2. Laylow reproduit la vibe du hit de 50 Cent, tout en apportant un discours différent. Le morceau du rappeur américain fait l’éloge d’une vie remplie d’excès et de rêves assez difficiles à atteindre pour de nombreuses personnes. Hamza et Laylow, font partie de ce type de personnes. Les deux artistes fantasment sur le mode de vie du rappeur américain.
Si les thèmes narrés par Laylow sont rarement joyeux, ils sont particulièrement sombres sur cet album. Le sujet des violences policières est le thème principal du morceau LOST FOREST. Comme bon nombre de rappeurs, Laylow dénonce le racisme ordinaire des forces de l’ordre envers les jeunes issus de l’immigration. On y retrouve deux belles références que sont le morceau Fuck Tha Police d’N.W.A qui est semplé et le roman policier d’Agatha Christie Dix petits nègres, évoqué dans le premier couplet. Dans le titre HELP!!!, Laylow s’indigne des violences conjugales à sa manière, introduit par l’interlude précédent.
Monsieur Anderson, difficilement cernable
La complexité de la relation entre Laylow et Mr Anderson est bien retranscrite, mais malheureusement, on n’a que trop peu d’informations concrètes sur ce double. C’est majoritairement Laylow qui est placé au centre de l’histoire, sans chercher à connaître davantage la personnalité de Mr Anderson. Son double s’ignore totalement durant l’intégralité du projet. Quel âge a-t-il ? Comment s’est-il retrouvé à être le double de Jey ? Il existe de nombreuses interrogations sans réponses.
S’il parvient à faire comprendre à Laylow qu’il a une destinée bien différente de sa vie actuelle, que de grandes choses l’attendent et surtout qu’il est unique, on ne sait pas d’où Mr Anderson provient. En quelque sorte, il remplit sa mission auprès de Laylow, mais c’est tout. Ce qui est assez frustrant pour l’auditeur qui cherche plus loin.
De plus, le chemin entrepris par Laylow pour comprendre que tout n’est qu’un rêve, est assez flou. On passe du fait qu’il se fait virer de boîte, à tabasser un mec qui sort de soirée, parce qu’il n’est pas invité ou encore à boire avec ses amis presque tous les soirs. En tant qu’auditeurs, on parvient malgré tout à comprendre le message de l’album ,mais c’est dommage au vu de la grande qualité musicale de L’Etrange Histoire de Mr Anderson.
Après Trinity, certifié disque d’or en novembre dernier, la montée en puissance de Laylow se poursuit. Son identité visuelle et sonore est plus affirmée que jamais. Il est devenu le rappeur qu’il rêve d’être durant tout le projet, un rappeur que plus personne ne peut ignorer, tant il est spécial.
Si musicalement, Laylow propose une fois de plus du grand art, les morceaux d’acting rendent inécoutable l’album aléatoirement, en dehors du concept. C’est un choix assumé par l’artiste, qui semble porter ses fruits. Après deux semaines d’exploitation, L’Etrange Histoire de Mr Anderson s’est écoulé à plus de 45 000 exemplaires. Autant vous dire, que Laylow a trouvé son chemin et sa recette…