Comme une fusion dans DBZ, les albums collaboratifs font figures de Super Saiyan du rap français, déclenchant fantasmes et excitation. Cette idée de combinaison entre deux artistes permettant de mélanger leurs styles, forces et intelligence rapologique est forcément plus qu’alléchante. Cependant, il existe différents types de collaborations sur un projet entier, et différents résultats (rencontrant plus ou moins de succès)… Nous avons décidé de nous pencher sur le sujet.

Nous avons déjà, en effet, tous fantasmé sur un potentiel album collaboratif entre deux artistes que nous apprécions et qui laissent penser, de par leur complicité, que ce serait une initiative des plus appréciables, ou que leurs styles sont assez proches pour laissez espérer un résultat harmonieux…
On pense par exemple à Booba et Damso à l’époque de l’apogée du 92i ou Lacrim et SCH en 2015 avant que leur relation ne s’assombrisse. Des rumeurs bruissent toujours au sein du public et certains rappeurs en jouent pour faire frétiller nos oreilles. Par exemple, Hamza et SCH qui, après leur célèbre featuring HS, avaient teasé un potentiel projet commun, on reste sans nouvelle depuis. Nous pouvons citer aussi Ninho et Leto qui se font harceler par leurs fans afin qu’ils s’exécutent, mais on ne sait toujours pas plus de détails que la déclaration de Ninho dans une interview : « Ça en parle dans les couloirs, tu connais » (qu’on traduit par : « flemme, il n’y a rien de concret »).
Si l’on parle de ceux qui l’ont réellement fait, nous pouvons nous rappeler du 15 titres nommé Ol et Dan où l’on retrouvait Ol’kainry, ainsi que « le rappeur préféré de Mehdi Maizi » sur tout le projet : Dany Dan ! C’était en 2005, année où il y avait aussi un LIM et Alibi Montana.
Fin 2012, c’est au tour du rap hardcore et crasseux d’entrer en scène ensemble, car nous avons eu le droit à Néochrome Hall Stars de Zekwe Ramos, Alkpote et Seth Gueko. Ce projet mettra d’ailleurs beaucoup de lumière sur ces rappeurs. Les fans de la première heure d’Alkpote et Seth Gueko sont à peu près tous nostalgiques de « l’époque Néochrome », le label qui a vu passer plusieurs grosses têtes des années 2000 tel que Salif ou Sinik. Parallèlement en 2012, Soprano et REDK sortent E=2MC’S, qui fut un très beau succès, aussi bien commercial que critique (ce qui était très rare pour un album en commun à l’époque, considéré comme du fanservice sans ambition).
Depuis, pas grand chose à nous mettre sous la dent avec ce genre de collaborations pour ces deux artistes (malgré les déclarations de REDK à propos de ce type d’albums, qui donnent envie). « Je reste persuadé que la musique reste de l’instinct, du pur feeling. C’est exactement dans cet état d’esprit qu’on était quand on a fait l’album. » Une sorte d’osmose entre deux artistes à un moment précis de leur carrière, une couleur nouvelle, créée en mélangeant celle de chaque artiste: un super-saiyan du rap, témoignage de ce qui pouvait se faire de mieux à une époque donnée.
Ensuite entre 2015 et aujourd’hui, quelques projets collaboratifs assez cool sur le papier sont sortis: on pense à Laylow et Wit avec Digital night ou Alkpote (encore) et Butter Bullets avec Ténébreuse musique. Cependant, ces projets, aussi intéressants soient-ils, n’ont pas forcément rencontrés l’accueil prévus, et ne peuvent pas être qualifié de « super-saiyans » du rap…
En fait, c’était à ce moment-là qu’il fallait habituer le « nouveau public rap français » aux albums en commun, mais les gros artistes n’ont pas su se concerter pour mettre d’accord tout le monde. Nous avons bien eu la Team BS composée de La Fouine, Sultan, Fababy et la chanteuse Sindy, mais la qualité musicale de ce groupe a dû laisser un froid dans l’inconscient collectif lorsque l’on parlait de projets collaboratifs…
De plus, cela faisait longtemps qu’aucun album de ce type n’était sorti et personne ne semblait vouloir transformer l’essai dans cette vibe là. Les différents ingrédients nécessaires au bon fonctionnement d’un projet collaboratif sont sans aucun doute la cohésion évidente de deux artistes aux univers semblables, un vrai thème global choisi au préalable (pour que l’album ait une identité propre sans ressembler aux précédentes sorties des deux artistes) et une différence de niveau pas trop flagrante pour que chaque public puisse s’y retrouver.

De plus, il existe plusieurs difficultés logistiques qui paraissent simples à régler de l’extérieur, mais assez compliqué lorsque l’on parle du milieu de la musique. « Qui dit réflexion dit stratégie, et tous ces trucs parasitent à mort » déclarait REDK. Le Rap étant devenu un business important, les calculs autour des collaborations viennent souvent se mettre en travers des sincères connexions musicales, tout comme les entourages et considérations des labels…
Aussi, l’égo d’une grande partie des rappeurs doit compliquer la tâche car il est possible que certains ne puissent pas envisager d’être sur un projet où un autre artiste est considéré comme meilleur qu’eux.
On peut admettre qu’il est difficile de travailler à plusieurs, de coordonner les visions et agendas des différentes équipes, etc.. mais mettre de côté des projets aussi ambitieux pour de simples « guerres d’égo » est souvent difficile à avaler pour les fans. Il se peut qu’il y ait aussi eu des soucis au niveau des maisons de disques qui aurait pu bloquer certaines démarches pour ne pas avoir à collaborer avec la concurrence.
En tout cas, nous pouvons affirmer que des albums en commun de Alpha/Nekfeu, Jul/Alonzo, Vald/Orelsan, ou encore Kalash et Damso auraient secoués beaucoup d’auditeurs entre 2015 et 2020.
Les projets collaboratifs n’étaient peut-être tout simplement pas à la mode sur cette période, car le game n’était pas aussi unifié qu’aujourd’hui. L’individualisme de chaque rappeur qui avait le nez dans sa propre carrière, pas grand monde qui se dédicaçais en interview et pas encore de 93 Empire ou de 13 Organisé, voici les potentielles raisons de l’absence d’albums en commun spectaculaires.
Puis, une épidémie mondiale s’est déclenchée aussi subtilement qu’un éléphant entrant dans une maison. Le Covid-19 a un peu changé notre perception du monde et des relations sociales : peut-être avions nous envie de plus de rapprochements humains ? Inconsciemment, les artistes isolés se sont peut-être rapprochés dans leur processus créatifs ? En tout cas, les albums collaboratifs rencontrent un regain d’intérêt, des auditeurs, comme des artistes…
C’est fin 2020 que nous avons eu le droit à l’immense Horizon vertical de Heuss l’enfoiré et Vald. Deux réelles grosses têtes qui sont suivis par un public assez différent, avec des univers assez éloignés qui fusionnent sur un projet, pour permettre aux deux artistes de se confronter à un autre processus créatif et d’atteindre un pallier de popularité plus élevé : du gagnant-gagnant ?
Malheureusement, malgré la qualité intrinsèque du projet, le résultat est assez décevant. Des instrumentales Trap bien sombres ou des plus ensoleillées, mais sans vraies zumba réussies (hormis le titre Guccissima). De plus, dans les textes, on sent un décalage (parfois) flagrant entre un couplet de Vald ou de Heuss l’enfoiré. Si les deux univers coïncident bien sur la plupart des sons et l’on sent qu’il se sont amusés à le faire, c’est un projet qui ne restera pas dans les archives du rap FR (sauf peut-être le son nommé 2014 où Heuss et Vald évoque le rôles paternel qu’ils ont envers leurs deux fils nées la même année que le titre du morceaux).
Le vendredi 28 janvier 2022, les fans de rap hardcore ont tous écouté SVR de Kaaris et Kalash Criminel. Le titre semblait tous nous évoquer le diminutif de leur ville, mais ils ont affirmés dans l’interview Le Code de Mehdi Maizi que cela n’avait aucun rapport avec Sevran à la base. Cependant, le projet respire l’ambiance « sevranaise » avec un mélange homogène de mélodies et de rap kické, violent et sombre à souhait.
Deux rappeurs issus d’un même environnement, évoluant dans une branche du rap assez similaire, avec des voix graves et des univers semblables : tout était réunis pour la réussite d’un album collaboratif.
Cela faisait longtemps que nos deux rappeurs n’avaient pas featés, et Kalash Criminel a affirmé avoir poussé son acolyte à élaborer ce projet afin de marquer le coup. On y retrouve un Kaaris très revanchard voulant prouver qu’il est toujours dans l’actualité et qui revendique sa place de pilier avec son apport à la trap française.
« J’ai contaminé tout les nouveaux rappeurs, à moi tout seul j’suis un Cluster ».
C’est nous les O.G
Les deux univers des artistes se marient parfaitement bien et l’on parle ici de violence pure et dure ! La grande plue-value du projet réside donc dans les punchlines percutantes et ravageuses, saupoudrées de vulgarité (parfois grossière ou plus subtile), toujours dans le but de choquer l’auditeur ou de piquer le rap game. Nous éviterons de les citer ici, mais les phases sur les mamans pratiquant des actes sexuels toujours plus farfelues ou les menaces liés à la haine constante et palpable de notre rappeur cagoulé ne laissent aucun répit, et nous sommes pris à la gorge du début à la fin.
Toutefois, l’intelligence des deux MC’s se trouve dans le souhait de ne pas délivrer un album entièrement rappé. Ils sont conscients que cela aurait pu être redondant et difficile à digérer. Le choix de placer des titres un peu plus ouvert musicalement avec des refrains accrocheurs fut le bon. En effet, c’est Kaaris qui se charge de cette « tâche » et le mot est mal choisi car l’on sent bien qu’il prend plaisir à trouver la bonne topline, ou la mélodie, qui plaira au plus grand nombre. On peut citer le single Shooter, ou la prise de risque du piano-voix sur Goudronné , ou encore l’excellent Sur le banc.
Finalement, le projet semble avoir plu à un grand nombre d’auditeurs, alors que ce n’était pas gagné d’avance vu la réputation de ce genre de projets collaboratifs. La communication autour du projet y ayant surement jouée pour beaucoup: Kaaris et Kalash Criminel ont délivrés beaucoup d’interviews avant la sortie du projet et leur complicité évidente, ainsi que la manière dont ils ont décrits les différents moments clés de la construction de SVR ont ravis les auditeurs, les journalistes et les fans de la première heures.
« On a tout fait en studio [ensemble], que ce soit l’écriture, la recherche de prod’, ainsi que tout le reste et chacun a su s’adapter à l’autre »
« C’était une autre manière de travailler mais c’était kiffant, on étaient souvent beaucoup en studio, chacun proposait des idées et les morceaux sont pour la plupart des mélanges parfaits de nos deux univers »
En 2021, une belle surprise collaborative trustait nos playlist et nos tops semestriels (à lire ICI) : Private Club est le fruit d’une collaboration fructueuse entre Jazzy Bazz, sûrement le plus connu des trois, EDGE et Esso Luxueux. Très efficace, ce projet est une vraie réussite critique : Jazzy Bazz modernisait un peu son univers et tentait de nouvelles prods, EDGE (membre du collectif Grande Ville et le backeur de Jazzy Bazz sur scène, avant que le Covid-19 vienne gâcher la fête) dévoilait toute l’étendue de son talent, jusqu’ici peu exploité et Esso Luxueux s’amusait avec la nonchalance qui le caractérise (presque frustrante au vu de son talent). Le projet brille par sa singularité et un esprit unique, alimenté par cet univers de club, qui donne une ambiance globale aux sons. Les trois artistes sont présents de manière égale sur l’ensemble du projet et s’illustrent tous différemment, brillants par leurs talents variés, pour un résultat harmonieux, auquel on aurait pas forcément cru si on nous l’avait annoncé avant.
En attendant d’autres albums à plusieurs mains (ou plusieurs voix), car l’espoir fait vivre (et plutôt longtemps si l’on attend un nouveau projet de Nekfeu), d’autres rappeurs ont annoncés des projets en commun.
Cela fait quelques années que les fans attendant toujours un projet Nekfeu/Alpha, toujours teasé par les deux artistes (serait-ce pour bientôt ?!). Depuis que Nekfeu avait parlé d’un album en commun avec le Phili Flingue, qui sortirait « le jour J » selon lui (est-ce possible de faire plus cryptique ?), les fans n’attendent que ça. Nous patientons donc toujours avec attention car les collaborations entre les deux rappeurs parisiens nous ont toujours fait vibrer, même sur une mixtape entière comme En sous-marin sortie en 2011.
Plus récemment, c’est ce fameux provocateur Freeze Corleone et ce sombre drilleur Ashe 22 qui ont annoncé la tracklist, la cover ainsi que le titre de leur album collaboratif Riyad Sadio (en référence aux deux joueurs de Football d’exceptions, issus des pays d’origines des deux artistes). Celui-ci est sorti le 4 mars dernier, mais a fait moins de bruit que prévu : est-ce car la provocation de Freeze commence à lasser ou que les feats avec Ashe 22 sonnent comme des choses déjà entendues et redondantes… ?
De nombreuses questions peuvent se poser, mais en tout cas, les voix & flows des deux artistes se marient parfaitement bien, grâce à leurs timbres et nuances vocales respectives.
D’autres projets ont été annoncés, ou teasés, de manières plus ou moins concrètes : Isha & Limsa d’Aulnay, Lucio Bukowski & Nestor Kéa, Maes et Ninho (?), Rim’K et des artistes parisiens, etc. Pourtant, malgré ces quelques annonces auxquelles nous pouvons rajouter celle de Lacrim et Mister you (super idée au vu de leur histoire commune), nous pouvons questionner le fait que les journalistes (et twittos) lancent souvent des pistes au sujet d’albums en commun, car ils savent que cela fera forcément jaser.
Les artistes ont aussi bien compris qu’ils peuvent créer de l’attente dans l’inconscient de leur public, alors qu’il n’y a peut-être rien de prévu dans l’immédiat…
Les albums collaboratifs étant maintenant peut-être plus une manière de faire le buzz qu’une vraie démarche artistique …
Et vous, quel serait votre collaboration rêvées pour un album en commun ?