On le sait depuis quelques années maintenant, la scène montreuilloise est une des plus créatives et dynamiques d’Ile-de-France. En travaillant avec le producteur et ingé son KØHM (qu’on a pu croiser aux côtés de Prince Waly, de Big Buddha Cheez ou d’Issaba), la rappeuse Lylice apporte, avec son premier EP Farouche, une belle pierre à l’édifice musical du 93048. Pensé comme une carte de visite dévoilant la maîtrise technique de la MC et ses grands traits de caractère, ce projet 5 titres est hétérogène dans le choix des prods et dans celui des thèmes abordés. Du spleen à l’attraction, les sentiments sont au cœur de l’opus ; leur expression en est la principale ligne directrice.
Les morceaux de l’EP sont résolument trap – Renard et Cardio – ou gratifiés par KØHM de glides de 808 bien drill pour ce qui est des titres Poz et Terminus. Dernier son du projet, Après le bip se détache assez nettement : posé sur un boom-bap dont la légèreté dénote par rapport à la coloration sombre des minutes précédentes, le morceau offre une respiration et clôture Farouche sur une belle ode aux rencontres et à l’attirance.
Lylice, qui côtoie freestyles et open mics depuis plusieurs années, dispose d’une habileté technique qui reflète sa pratique scénique du rap : rimes à deux/trois syllabes percutantes, enchaînement nerveux de rimes croisées, maîtrise des allitérations qui enrichissent formellement les couplets comme les refrains. Ces derniers se détachent pour l’instant assez peu à l’intérieur des morceaux, mais demeurent quasi-irréprochables du point de vue de la plume. La MC réserve l’usage des références à certains aspects de sa musique (du côté de l’engagement) et joue assez peu sur les mots : son rap est éminemment et immédiatement personnel, une bonne chose à l’heure où name-dropping et remplissage fonctionnent parfois de concert.
Si la rappeuse dit n’avoir « plus d’émotions » mais « plein d’émojis », reste que les sentiments exprimés dans cet EP ne se résument pas à des smileys. Farouche est traversé par une vision amère des rapports humains (« J’vois que les défauts chez les gens », « quand j’dis que ça va c’est qu’je mens ») et un spleen profond, ce que résume sans ambages le refrain de Terminus : « Depuis que ma mère a perdu les eaux, je ressens la tristesse dans mes os ». Non loin de la tristesse, la colère est bien ancrée dans le rap de Lylice. « Enragée depuis ado », l’artiste montreuilloise cible les désillusions personnelles (mensonges, difficulté à faire confiance) et des problèmes plus systémiques, notamment la violence masculine : « on m’a menti c’est les princes qui deviennent des crapauds ».
« J’côtoie les chats noirs : c’est des sorcières qui me veulent du bien », Terminus
Féministe, antifasciste et autonome, le rap de Lylice donne un bel écho aux luttes en cours. Du féminisme, la rappeuse revendique les couleurs et porte les dénonciations. Reprenant à son compte l’image de la sorcière, elle attaque dans ses couplets les violences conjugales (« si le fond de teint est rose, c’est que l’œil est éborgné ») et les violences sexuelles : en rappant « si je meurs demain, ce sera pas d’amour, ce mot écrit partout sur des murs par ton agresseur », Lylice vise le photographe et tagger parisien Wilfried A. (connu pour ses tags « L’amour court les rues »), mis en examen en octobre 2020 pour viols et agressions sexuelles après les plaintes déposées par 25 femmes trois mois plus tôt. Cette phrase rappelle l’existence de ces crimes, alors que le traitement judiciaire de l’affaire est toujours en cours.
« Où est la goutte d’eau qui va faire déborder les canaux, qu’on se soulève pour renverser les fachos ? », Renard
Rêvant « d’indépendance comme Barcelone » et ayant à cœur de « redonner sa noblesse au mot escapade », Lylice construit son propos en puisant volontiers dans l’idéal d’autonomie. Par ailleurs, quelques phrases estampillées « cortège de tête » (« noirs sont mes vêtements », « j’préfère ceux qui cassent à ceux qui lèchent des vitrines ») sont disséminées dans Farouche : on ne boude pas notre plaisir.
Dernier son de l’EP, Après le bip entraîne l’auditeur vers des atmosphères sonores et émotionnelles toutes autres. Construit en deux parties, l’une décrivant l’effervescence des temps de séduction et l’autre les plaisirs du sexe et de l’entichement, le morceau traite l’attraction de façon à la fois intimiste et universelle. De la lecture fébrile des notifications aux joies de « décoller du plancher », Lylice parle de la rencontre amoureuse sans artifice : cela autorise tout.e un.e chacun.e à se retrouver dans ce cheminement sentimental.
Au micro de la radio LFM, Lylice et sa comparse Esthr (qu’on retrouve en feat sur le morceau Poz) indiquaient avoir en tête la réalisation d’un projet commun, ce qui constituerait une fort bonne nouvelle. En attendant la sortie d’un tel opus, ou d’un solo plus long format, la MC de Montreuil a livré il y a 5 jours un freestyle décapant pour le WorkShop Concert, preuve supplémentaire qu’elle est une rappeuse à suivre avec attention.
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