Légende photo : Marie Da Silva (à de PLK) entourée du label Panenka
Avec notre série Les Nanas du rap game (en hommage au titre d’Isha), nous explorerons les coulisses du rap francophone et ceux qui le font, mettant en lumière le travail des femmes, qui opèrent dans l’ombre. Marie Da Silva est une femme caméléon ayant connu plusieurs époques et codes du rap français tout en gardant son aisance et sa bienveillance admirables…
Sa voix rauque et sa proximité m’ont immédiatement mises à l’aise tout au long de notre conversation. De son intérêt précoce pour l’art jusqu’à son récent emploi chez le label Panenka fondé en 2016, le champ des sujets que nous avons eu le temps d’aborder est vaste. Tout d’abord, pour pouvoir décrire Marie, il nous faut nous intéresser à sa construction personnelle et professionnelle afin de mieux parvenir à cerner sa trajectoire.
Diplômée en bac +4 d’une licence en médiation culturelle et artistique, Marie embrasse vite le milieu de l’art et plus spécialement l’accompagnement des artistes. Ces études l’ont poussée vers des stages en lien avec le milieu de l’art, se concrétisant alors avec la rédaction de son mémoire. Le mémoire ayant une importance cruciale dans l’achèvement des études supérieures en France, Marie choisit de la consacrer au thème suivant « Une culture de rue peut-elle se médiatiser ? Le cas de la culture hip-hop en France ». Ce sujet, dont la pertinence demeure actuelle, amorce donc parfaitement la carrière de son autrice.
Ce choix fut en effet lié à son stage au cœur du label urbain de Virgin, 2Label, ayant produit entre autres la bande originale de La Haine ainsi qu’un album d’IAM. A l’issue de ce stage, Marie est alors débauchée dans le label Crysali où son poste consiste à être attachée de presse télévision, lui permettant ainsi de prendre contact avec le milieu audiovisuel français. Crysali lui permet ainsi d’acquérir une expérience et une maîtrise conséquentes, en représentant notamment des artistes d’envergure internationale tel que Robbie Williams.
Le parcours de Marie Da Silva la fait accéder à de nouvelles structures, puisqu’elle signe ensuite au label East West appartenant à Warner, où son talent lui permettra de profiter du développement du rap américain et anglais en France.
Toutefois, le développement de la musique urbaine en France fut laborieuse entre les années 2000 et les années 2020, et de ce fait, n’offrit pas toujours à ses artisans un cadre stable, expliquant ainsi son renvoi de ce label entre 2003 et 2004. Il ne faut en effet pas oublier à quel point cette industrie et ce genre musical en général n’ont pas toujours prospéré dans notre pays, n’ayant pas acquis facilement les audiences actuelles.
Dans la continuité de ce bouleversement professionnel et de remises en cause personnelles, Marie décide à ce moment là de reprendre ses études pour pouvoir passer un CAPES et devenir professeure d’arts plastiques, ce qui n’aboutira malheureusement pas.
La passion pour la musique urbaine l’ayant contaminé, elle décide de retourner à ce microcosme, avec une nouvelle configuration cependant.
En effet, se pose la question de savoir comment réussir à se pérenniser dans le système des labels alors même que les plateformes de streaming commencent à émerger et que le milieu de la musique urbaine française commence à peine à se structurer.
La réponse fut alors son choix de s’inscrire dans ce milieu en construction en tant qu’indépendante et freelance. Cette position permet à la nouvelle autodidacte de travailler pour son compte suivant ses intérêts, tout en apportant ses compétences dans la promotion et les relations presse dans de nouveaux labels à l’instar de Panenka, depuis 2016.
Marie Da Silva, qui avait une passion pour la musique depuis sa tendre adolescence, a donc fini par y contribuer dans l’ombre des artistes, notamment des artistes rap.
Décrire Marie implique donc de parler du milieu du rap français et de son évolution depuis le début des années 2000.
Depuis sa posture de témoin aux premières loges de l’implantation de ce genre en France, elle constate une dissociation évidente entre la première génération de rappeurs et la seconde, bien que ces deux l’aient accompagné tout au long de son parcours professionnel.
Si la sociologie des rappeurs en vogue a bien évolué entre ces deux générations, le poids du rap et de ses acteurs ainsi que leur aura n’a fait que croître, et ce pour le meilleur comme pour le moins bon. Marie reconnaît alors avec justesse le poids de ce « moins bon » du rap français et ne se voile pas la face quant à son importance.
Ici aussi il est nécessaire de rappeler la subjectivité de ses critiques et remarques, elle me livre son constat personnel sur la situation du rap français en 2020.
Cette critique est donc portée sur l’évolution des rappeurs ainsi que des thèmes abordés dans la pluralité des sons. Davantage de sexisme, toujours une objectification des femmes : on retrouve selon Marie une multiplication des paroles où la femme est métaphoriquement mise à mal.
Si l’ensemble du rap français s’est grandement diversifié depuis les années 1990 et offre des propositions artistiques très différentes, il demeure qu’une vision dégradante des femmes persiste, voire a pu empirer.
En effet, selon elle, le rap est devenu davantage misogyne depuis les années 2010 et plusieurs raisons peuvent tenter de le justifier : une nouvelle génération d’artistes en vogue répondant aux besoins de la « street cred », un public biberonné aux réseaux sociaux où l’image de la femme est bien trop facilement dénigrée, ou encore la prépondérance d’une masculinité toxique. Tant de raisons pour un constat unanime, ce sexisme est avant tout lié à la société française en général qui demeure profondément méprisante envers les femmes.
Si le sexisme demeure dans le rap en France, Marie ne nie pas parallèlement la participation croissante des femmes à l’implantation de ce genre musical. Que ce soit à la tête de ses premières boîtes, ou au sein de différents labels, comme le montre la position de Pauline Duarte chez Epic Records. Elle le constate grâce aussi à des rencontres spontanées comme avec Maÿlis Yamba. Les femmes sont belles et bien présentes dans le rap pour Marie Da Silva.
Malgré cette participation féminine incontestable comme le prouvera également cette série de portraits, Marie constate également que le nombre de rappeuses reconnues n’augmente pas suffisamment. Elles restent peu médiatisées et moins soutenues par leurs pairs, comme c’est par exemple le cas pour la version féminine de Bande Organisée, bien loin du succès retentissant de sa version masculine.
Mon interlocutrice ne se contente pas de dénoncer ce sexisme persistant dans la société et dans le rap, elle remarque également une homophobie commune aux acteurs du rap français. Une homophobie parfois déguisée et/ou inconsciente via les termes « enc*lé », « p*d* » ou « tap*tte », mais une homophobie pouvant également être assumée comme l’a montré l’exemple de Koba la D à l’été 2020.
Finalement les propos de Marie Da Silva s’élargissent considérablement par rapport à son propre parcours, pour faire son état des lieux du monde au sein duquel elle a pu s’épanouir aux côtés d’artistes tels que PLK, Georgio, Bekar, Tsew The Kid ou encore Thérapie Taxi.
Ainsi, résumer Marie Da Silva est une tâche complexe.
Une femme moderne et autonome, une femme ayant réussi à imposer sa marque sur les relations presse et sur la promotion d’artistes extrêmement variés.
Une femme conscientisée enfin, avec sa vision affirmée et précise sur les atouts et les tares de son milieu professionnel comprenant bien entendu, le rap français.
