L’une des premières choses que je me suis dite après avoir vu la fort gênante vidéo de Macron écoutant et félicitant le groupe 47ter dans le cadre d’un concert assis le 21 mai dernier, c’est que les médias habitués à ânonner sur le manque d’engagement du rap allaient trouver là du grain à moudre. Après réflexion, je me suis dit qu’il pourrait être bon de s’emparer du sujet, pour remettre les choses bien à leur place : 47ter ne représente pas le rap français ; 47ter a même inventé un type de rap tout à fait particulier : le rap macroniste.
Qu’on s’accorde : beaucoup d’artistes rap ont des discours et des postures capitalistes, peut-être davantage aujourd’hui qu’hier, c’est un autre débat. Mais ce que j’entends par macronisme, c’est une version spécifique du capitalisme à la française : ringarde, basée sur des discours toxiques, qui brassent beaucoup de mots pour ne rien dire au final. Or, au-delà de l’idylle scénique entre 47Ter et Macron – sur laquelle il faudra bien revenir plus loin – la musique de 47Ter est macroniste par essence. Pour s’en rendre compte, il suffit d’écouter quelques titres de leur dernier opus en date, Légende. C’est sans doute une faute journalistique, mais je n’ai pas été capable de me farcir la discographie entière.
Tout d’abord, recontextualisons un peu 47Ter : la musique de Lopes, Blaise et Pierre-Paul oscille entre pop et rap, et ce depuis leurs débuts vers 2017-2018. S’ils se définissent comme venant « de la campagne », leur ville d’origine, Bailly, appartient plutôt au périurbain bourgeois de la région parisienne, à l’Ouest de Versailles. Peu exposés dans les médias spé, ils jouissent par contre d’une très bonne couverture sur Konbini ou France Info, ce qui leur permet aujourd’hui d’empiler les certifications et les dates de concert.
L’écoute des premiers titres de Légende est particulièrement pénible : Légende et Vivre ne parlent absolument de rien. On n’attend pas de tous les artistes rap qu’ils ouvrent leur album comme Casey dans Tragédie d’une trajectoire, mais dans ce cas précis les mots, les phrases s’enchaînent sans aucune cohérence. Ces deux morceaux ne sont pas isolés dans l’album : Nous les autres ou Ne t’en fais pas correspondent à 2 minutes 30 de vide intersidéral niveau fond (« pourquoi on se prend la tête ? souvent ça vaut pas la peine mais on perd du temps à se prendre la tête, le bonheur parlait sans la peine »). A l’image des discours de Marlène Schiappa ou de Christophe Castaner, les couplets de 47Ter cachent le rance sous des formules complètement dénuées de sens.
Quand 47Ter parle de quelque chose, c’est de relations sentimentales, avec des relents de toxicité que ne renieraient pas d’autres membres de la majorité présidentielle. Quoi de mieux en effet que de dire à l’être aimée, une fois celle-ci partie : « j’veux que tous les jours t’aies le seum car le refrain tu l’as retenu, que t’aies l’air seule en voyant ce qu’on est devenu ». Refusant de glisser dans sa musique ne serait-ce qu’une once d’empathie pour la société qui l’entoure, 47Ter était le groupe tout désigné pour servir la communication macroniste, dans l’ombre de McFly et Carlito.
« On a assisté aux dix dernières minutes et c’était très émouvant de vous voir. Chanter, faire la fête, en restant assis, en respectant les règles et en étant formidablement libres », Macron s’adressant à 47Ter
Sur le concert donné devant Macron et sur la photo prise dans la foulée, le ridicule du son et des images parle de lui-même. Accepter de participer à la campagne de com’ d’un roitelet sociopathe, lancé dans une course-poursuite avec l’électorat d’extrême droite, est évidemment affligeant. Mais arrêtons-nous quelques instants sur la photo prise dans les coulisses du concert. Quand Barack Obama recevait à la Maison Blanche des pontes du Hip-Hop US, ça avait de la gueule, quoiqu’on pense d’Obama ou des personnes réunies autour. Si l’équipe de com’ de Macron a voulu s’inspirer de ce genre de clichés, c’est raté, je vous laisse mesurer le décalage.

J’ai bien conscience qu’il n’est ni très difficile ni très original de taper sur 47Ter, Soso Maness l’a déjà fait avec brio chez GQ. Et je ne l’aurais sans doute jamais fait s’ils ne nous avaient pas livré cette démonstration de subordination il y a quelques semaines. Concluons donc, à l’attention des gens qui proclameront la « trahison du rap » en se servant de cet épisode, que celui-ci ne représente qu’une entente grotesque entre un trio soucieux de gratter quelques reportages supplémentaires dans les médias mainstream et un politique qui souhaite rallier la jeunesse à sa campagne foireuse. Si 47Ter clame sa joie d’être « validé par le président », la majorité des artistes rap en France – on le sent dans les interviews, dans les clips et dans les couplets – ne peuvent encadrer ni Macron, ni son gouvernement, ni sa police, comme une bonne partie de la population d’ailleurs.
PS : un grand merci à Guillaume Echelard pour ce titre bien senti