Les tracklists des albums se suivent et se ressemblent. De Maes à Heuss l’Enfoiré, les rappeurs invités en feats dans le rap français sont souvent les mêmes, et ne semblent décidés qu’à faire du fan service un peu facile. Bref, les collaborations des gros albums du rap français ne me font plus rêver.
Ninho, Heuss l’Enfoiré, SCH, Maes, PLK. Dans la tracklist d’un blockbuster du rap français, difficile ces derniers mois d’échapper à ces noms, annonciateurs de streams par milliers. Les écoutes sont là, mais l’excitation n’y est plus. Quand je vois “Maes” sur la pochette d’un album, je soupire. Toujours les mêmes noms, toujours les mêmes couplets, toujours les mêmes ambiances. Les feats dans le rap français tournent en rond, et n’aiguisent plus ma curiosité quand je découvre la pochette de l’album. Là où ils devraient apporter de l’inattendu dans l’album, ils le ramènent – la plupart du temps – à ce qu’on entend sur les autres albums.
Certes, c’est sympa l’ambiance fraternelle du rap français en ce moment, où tout le monde s’aime, à part un ou deux quadras qui tournent mal. Mais quand SCH fait plus de dix feats ces douze derniers mois (pas eu le courage de tous les compter), forcément, j’ai moins hâte de découvrir ses couplets. Et pourtant, ils sont souvent d’excellente facture.
Feat facile, streams faciles
L’accumulation de feats dans le rap français n’est pas une nouveauté. A la fin des années 1990, les collaborations représentaient 30% de la production du rap français, comme le note Karim Hammou dans son Histoire du rap en France. Au début des années 2000, ces chiffres se sont un peu amoindris, en même temps que la prospérité du rap. Depuis le début des années 2010, la nouvelle jeunesse du rap semble contribuer à faire réaugmenter le nombre de featurings. Quand tout va bien dans l’industrie du rap, pas de raison de se tirer dans les pattes.
Ce retour en grâce du featuring est plutôt une chouette nouvelle. J’ai adoré 13’organisé (notre chronique ici), cet esprit collégial, de groupe. En revanche, le revers de la médaille, c’est cette tendance à ce que les mêmes artistes reviennent toujours, apporter leur nom comme un tampon. Le motif financier est évident : certains artistes “streament” beaucoup. “Technique d’ancien pour être refait / Suffit d’mettre Ninho au refrain”, comme le dit Sadek sur un morceau avec le principal intéressé… aujourd’hui en tête des titres les plus populaires de Sadek sur Spotify. A l’heure du stream, un featuring n’est pas seulement un argument sur la pochette pour acheter l’album. C’est une source de revenu directe. Alors, on prend ceux qui marchent.
“Technique d’ancien pour être refait / Suffit d’mettre Ninho au refrain”
Sadek
Les feats dans le rap français sont prévisibles
Ce qui me lasse aussi, c’est que, non seulement les mêmes artistes se relaient, mais en plus ils viennent systématiquement apporter les mêmes choses. C’est-à-dire que l’on attend d’eux – ou plus précisément ce qu’ils pensent que l’on attend d’eux. Chacun a sa spécialisation. Maes va faire un refrain nonchalant, Ninho un couplet vengeur, SCH une prestation remplie d’effluves marseillaises, et Niska des gimmicks imparables. Plutôt que comme une collaboration, les featurings dans le rap français sont presque abordés comme une prestation de service.
Du coup, ces séquences paraissent parfois complètement détachées du reste de l’album, brisant sa logique propre. Dans le genre, les collaborations sur l’excellent album de Da Uzi ne m’ont pas convaincu. Heuss l’Enfoiré vient faire le tube de l’été de service, et Freeze Corleone un morceau de drill froide, là où il aurait été plus cohérent de rester seul à seul avec le regard de Da Uzi, rempli de rancune cachée. Et dès que l’on voit la tracklist, on sait déjà à quoi va correspondre chacun des morceaux. Le nom devient une promesse musicale.
Cette spécialisation des rappeurs sur un créneau en featurings a particulièrement fait les affaires de Gazo, l’un des derniers venus sur ce marché des feats. Cible un peu facile, je le reconnais, Gazo n’apporte pas vraiment une plus-value de streams (il ne fait pas des scores comparables à Ninho). En revanche, il apporte un style, lui très recherché : de la drill. Véritable prestataire de la drill, il vient délivrer aux rappeurs en recherche d’un banger drill un couplet sombre et haché. Résultat : une quinzaine de feats en un an, pour des rappeurs aussi variés que Gims, Ashe 22 ou Kalash.
De rares bonnes surprises
L’efficacité est là, mais la spontanéité de la rencontre artistique, dans ce qu’elle peut avoir d’inattendu, s’efface. Évidemment, il y a des exceptions. La rencontre entre Stavo et SCH reste un de mes morceaux favoris de l’année. La collaboration entre Heuss et Sadek sur de la 2-step était très réussie. Mais dans l’ensemble, si je peux espérer quelque chose des collaborations entre rappeurs à la rentrée 2021, c’est qu’elles parviennent à nouveau à me surprendre, qu’elles soient de vraies rencontres artistiques, qu’elles aient un sens. Sinon, pas la peine de s’encombrer de feats.
Si l’album de Lala &ce était si bien, je pense d’ailleurs que c’est aussi parce qu’elle a choisi des featurings qui allaient avec son album, qui s’y intégraient parfaitement, tout en lui apportant quelque chose, comme Rad Cartier. Pas d’opportunisme, pas de hors-sujet, pas de prestation prévisible et poussive. Du coup, je conclus avec une phrase qui pourrait s’appliquer à la plupart des sujets sur le rap : faites comme Lala.