Mignon, le premier album de Peet, rappeur belge de 28 ans, allie lignes de basse organiques et rêveries candides. Au sein de cet album au confort digne d’un canapé sorti le 19 mars, l’artiste trouve un moment de grâce dans 17, morceau dédié à sa mère décédée.
Les morceaux de rappeurs dédiés à leur mère sont une catégorie à part dans la large discographie du rap francophone. Le morceau Si loin de toi de Pit Baccardi, hommage à sa mère disparue, a stimulé les glandes lacrymales de tous les auditeurs assidus. Sur le morceau 17, le rappeur belge Peet s’inscrit dans ses pas, et rend un hommage à « Michelle ». Le titre permet à son premier album, Mignon, de prendre une charge émotionnelle forte et puissante.
Pourtant, le morceau est bien caché, littéralement au beau milieu de l’album – septième piste sur quatorze. Par pudeur sans doute, le membre du groupe Le 77 n’a pas osé se dévoiler tout de suite.
A la croisée de Swing et de Caballero et JeanJass
Non pas que le début de l’album soit mauvais. On y découvre un artiste sympathique qui a roulé sa bosse aux côtés de tous les éternels ados rêveurs du rap belge (L’Or du Commun et Swing – présent sur l’album – viennent immédiatement en tête).
Les textes de Peet sont gorgés de la philosophie élastique du vingtenaire glandeur, qui réfléchit sur la place de l’Homme dans l’univers – part de pizza dans une main, joint dans l’autre. Le tout est mis en valeur par des productions de haute volée, portées par des lignes de basses dansantes et des synthés rêveurs. Voyager est particulièrement réussie, preuve de tout l’intérêt d’enregistrer avec des instrumentistes. Quelque part entre le jazz tête en l’air d’un Swing, et la débrouille un peu foireuse d’un Orelsan ou de Caballero et JeanJass, on s’attache à la voix fragile, légèrement cassée et naïve de Peet.
De Pit Baccardi à Peet
Mais tandis que l’on découvre l’album comme une douceur, agréable à écouter en rêvassant à sa fenêtre ou en fumant avec ses potes, 17 nous fait découvrir une œuvre d’un tout autre poids. Il y a un sample au départ : celui d’Oxmo Puccino qui rend hommage à Pit Baccardi – justement. Une référence à une référence, comme pour inscrire ce morceau dans le vaste réseau du rap français, et son histoire riche de plus de trente ans. Pit passe le flambeau à Peet. Et puis, après ce sample, il y a un rythme syncopé, aux allures de salsa, qui pourrait nous faire croire à une chanson légère. Un peu comme pour MP2M d’Isha – hommage à un père disparu, lui aussi caché au milieu d’un projet, et sous un titre cryptique – Peet fait le choix du contretemps, du contre-pieds, pour évoquer sa mère.
L’usage des syncopes latino n’est pas pour autant un contresens. Car Peet parle bien de corps qui s’éloignent, qui se rapprochent. « Ici on est ensemble, là-bas on pourra se retrouver« , rappe-t-il, pudiquement. Durant plus de quatre minutes – c’est le morceau le plus long de l’album, le temps de trouver les mots justes – l’artiste décrit ses errances dans la nuit, son besoin de parler, et son incapacité à le faire. On sent le courage qu’il a dû lui falloir pour écrire ces lignes ; on a l’impression d’être au-dessus de son bureau, avec lui, à les écrire. Ces lignes, il ne les a pas faites pour nous, il nous les laisse voir.
Mignon : un nom de famille
Et d’un coup, toute la première partie de l’album prend une nouvelle dimension. La philosophie foireuse de Peet devient une réflexion sur son expérience de la vie et de la mort, bien plus concrète. Quand on réécoute l’ouverture de l’album et son « J’ai perdu la tête », on pense forcément à l’autre perte – celle de la piste 17. Mignon, le titre de l’album que l’on croyait humoristique, est en réalité un hommage à son nom de famille : celui de Guy et Michelle, ses parents.
Alors évidemment, l’album n’en devient pas pour autant parfait. L’écriture pure et candide de Peet est sa force, mais parfois peut aussi un peu agacer, comme quand il insiste « La gentillesse, c’est pas trop à la mode » sur AMC, le dernier titre. Sur les morceaux plus comiques, les blagues à la Casseur Flowters ou à la Vald parfois déjà vues brisent l’ambiance rêveuse de l’album (Flemmard de qualité ou Délire par exemple ne sont pas indispensables). Mais les gros sabots de Peet ne suffisent pas à gâcher le plaisir que l’on prend à écouter ses pensées délicatement naïves.
« J’ai pas trop envie de parler »
La deuxième moitié de l’album est renforcée par la puissance fragile de la piste 7, et est toujours portée par les instrumentistes (le saxophone de Cashflouze, la batterie de 2 Sens). Les enfants, l’amour, le besoin de l’autre, la vieillesse, la peur de la mort… Les thèmes de réflexion de tout vingtenaire qui regarde davantage vers la trentaine que vers ses années étudiantes sont passés en revue, avec la même pudeur que les mains qui masquent un bas ventre sur la pochette. « J’ai pas trop envie de parler« , reconnaît Peet. Et à l’issue de l’album, on se dit que l’on va continuer à suivre les rêveries à voix haute du Belge – car les plumes aussi sincères et touchantes dans le rap francophone ne sont pas si nombreuses.
Ca valait le coup d’écouter toutes les sorties du 19 mars – jour de parution des mastodontes SCH et Youssoupha. Et de l’avoir fait jusqu’au bout. Car les moments où les artistes arrivent à toucher juste sont souvent cachés au détour d’un rythme syncopé.