Le premier album peut faire vaciller la carrière d’un artiste : lui être fatal ou s’imposer comme un vrai moteur pour sa réussite. Ocho, pour sa part, rend justice à merveille aux attentes qui pesaient sur SDM.

Sur Ocho, on trouve un ton tantôt sensible, tantôt velléitaire, un homme démontrant sa technique, sa gestion du rythme, soulignant une fois de plus que le 92i a le flair pour mettre en avant des « presque » nouveaux venus.
Au fil des titres, SDM a le souci de rendre hommage à ceux et celles qui l’ont mis en avant, démontrant qu’un artiste ne se fait pas seul, et qu’il assume ces liens avec son quartier, sa famille, ses alter ego, en les revendiquant entièrement. Cet album m’a marqué par la maturité et la force de ses textes, où la mort côtoie la jouissance des femmes et des plaisirs en général, à la violence.
Rappeur mélomane et kickeur, SDM semble bien loin des clichés habituels sur les rappeurs émergents. Désarmant de sincérité et de réalisme, Ocho nous embarque dans un voyage de 16 titres, liés les uns aux autres par un flow toujours haché et précis. Truffé de références à ses modèles comme Tony Montana ou Zidane, à ses racines (Clamart et le 92), ou enfin à son Congo d’origine, l’album plante avec justesse le décor de SDM ou plus précisément de Sadam.
Côté featurings, l’album compte en premier lieu l’entourage proche du jeune rappeur, à commencer par PLK dans la connexion brute Le Bruit des applaudissements, ode au succès de leur département commun et ses talents. Bramsito est lui choisi pour un son langoureux où la maîtrise du chant réunit les deux artistes de façon évidente. En continuant dans l’album, on retrouve Fally Ipupa, dont la performance en lingala ramène SDM à la mélodie de son pays d’origine sans modifier la cohérence sonore du projet.
Enfin, pour diriger un album comme un chantier nécessitant de l’encadrement, la rencontre entre les « maîtres d’oeuvre » est essentielle et Daddy concrétise habilement cette rencontre entre SDM et Booba, parrain de taille.
Découvrir SDM avec Ocho permet à tous les auditeurs de s’immerger dans une conversation silencieuse avec l’artiste. Celui-ci nous raconte avant tout ses observations quotidiennes, son envie de réussir – avec un titre comme La vie de rêve – ou les injustices présentes qu’il a pu observer et vivre, sans basculer dans une écriture de revendication.
Aborder la violence des armes, des corps et des échanges représente une part non négligeable de l’album avec des titres comme Van Damne et semble être une extériorisation nécessaire pour l’artiste, montrant que « C’est l’AK47 qui mène la chorale ».
Cette violence décrite n’est pas toujours dirigée contre des individus précis, mais aussi contre le système qu’il côtoie et ses injustices. On pense à des punchlines comme « malheureux est le vendeur sous le porche, malheureux mais il fait des heureux », ou la plus frontale « bienvenue au pays où c’est dur d’être un Noir, le thème c’est de jamais compter sur un autre ».
Si les nombreux thèmes exprimés dans l’album ne sont pas particulièrement originaux, la façon dont SDM les met en parallèle est intéressante. En effet, l’enchaînement des titres lui permet de se livrer aisément, avec notamment la très belle punchline : « j’ai grandi ici, j’ai tout appris ici mais pourtant l’objectif c’est de s’en tirer ». Par ces phrases, le rappeur ne se positionne jamais comme un donneur de leçons, mais nous décrit avec assurance ce qu’il a pu affronter et connaître. On retrouve particulièrement ces thématiques dans des titres comme Rentrer ou Keur Nwar, où les difficultés supposément inéluctables des habitants de quartiers sont dépeintes avec colère.
L’album est donc une démonstration maîtrisée, qui mélange un égotrip en forme d’exutoire (Appelez Les PinPon ) et un détachement revendiqué de toute forme d’engagement relationnel dans d’autres titres comme Game Over et Daddy.
A travers ces sons, on aperçoit une prise de recul salutaire pour le jeune artiste de 25 ans, lui permettant de garder une prise sur les contraintes que le rap lui fait découvrir. Grâce à l’alternance entre sons rappés et sons chantés, l’artiste originaire du 92 parvient à toucher un public vaste, qui n’est plus seulement en recherche de punchlines acerbes et directes mais qui apprécie également ses performances vocales et mélodiques.
Enfin, tout au long de cette discussion silencieuse avec l’auditeur, SDM ne cache pas une facette sensible et vulnérable qui lui est propre, déjouant une énième fois les clichés simplistes qu’on accole trop facilement aux rappeurs. Cette sensibilité est flagrante dès l’intro du projet et découle tout le long des morceaux en rejaillissant dans des phrases comme « j’ai compris que j’étais plus un enfant quand les problèmes de maman sont devenus les miens » (Keur Nwar) ou encore « à mon tour de briller, j’ai trop rampé » dans le morceau 100-Ocho.
Restez donc attentifs à cette discussion silencieuse, car SDM a encore beaucoup à nous dire.