Des Ardentes sans B20 ni H20

L’équipe de LREF était cet été au plus grand festival de rap d’Europe: les Ardentes ! Un régal que l’on a digéré tranquillement. Voici notre débrief, avec du recul …

Pour cette édition, le festival belge des Ardentes a mis les petits plats dans les grands. Au menu, les plus grands rappeurs mondiaux et mondialisés, presque de quoi rivaliser avec Coachella et autres : Travis Scott, Kendrick Lamar, Metro Boomin, Central Cee, Rae Sremmurd, … Une grande majorité du rap francophone actuel est présente : essayez de trouver de gros artistes absents de la progra, vous verrez qu’on en fait vite le tour. Certains noms sont même événementiels, historiques, pas croyables, comme Kaaris, Freeze Corleone ou Booba. Le line-up est rare et précieux, de quoi convaincre tout passionné.

Mais dans les faits, ces 3 jours de festival (le 4e jour de festival ayant été annulé à cause des prévisions météos) nous laissent des souvenirs mitigés. Des choses nous ont manquées, plus que Booba, Freeze Corleone et Central Cee réunis. D’abord, l’organisation du festival n’est pas à la hauteur de ses ambitions ; ensuite, les inégales performances des artistes ont malheureusement ressemblé à un ciel gris homogène d’où sont sortis quelques éclaircies.

Voir Travis Scott et mourir ? Non, un festival ne peut pas faire que de la musique

Le principal point noir de l’organisation du festival la quasi absence d’eau potable. Pourtant patrimoine commun de l’humanité, l’eau s’est arrêtée à Liège. Les trois petits points d’eau sur le festival n’ont évidemment pas suffi à subvenir aux besoins des 220 000 festivaliers (sur les quatre jours) : devant les ridicules robinets s’entassaient des foules dont certains artistes auraient pu être jaloux. Revers de la médaille, les bouteilles d’eau aux bars se vendaient à foison (1euro la bouteille de 33cl…) et, une fois sur le sol, transformaient le festival en un océan de plastique. Les plus assoiffés burent l’eau non potable des toilettes. Par 35 degrés, les malaises et intoxications ont donné du fil à retordre aux services de secours liégeois. A la marge, les autorités du festival autorisèrent à partir du 3e jour, devant l’ampleur des dégâts, à rentrer sur le festival avec des bouteilles d’eau provenant de l’extérieur. Trop tard.

La grande scène des Ardentes, soir 1. Paul Bourel, 2023

Ce problème aquatique, indigne pour un événement à ce prix (290euros pour le pass 4 jours et camping), est finalement assez symptomatique des dysfonctionnements organisationnels du festival : longues files d’attentes un peu partout (dont 1h environ pour les douches payantes), interférences entre scènes, gestion de l’annulation du dernier jour (même si on imagine évidemment la complexité du problème), …

Terrifiant message du dernier jour. Paul Bourel 2023

Ces remarques ne sont pas gratuites et on aimerait pouvoir parler uniquement de musique. Elles portent l’espoir que ces manques organisationnels seront comblés, car ils desservent lourdement le festival. En faisant un tour de presse sur les Ardentes, les médias ne parlent que de l’eau ou d’Alkpote qui lance des joints dans la foule, et en aucun cas des performances d’un Kendrick Lamar ou d’un Kaaris. Et c’est bien dommage, car le plus grand festival de rap européen mérite bien meilleure presse.

L’énergie ou l’ennui : des Ardentes musicalement inégales

Revenons en à la musique. Voir autant de performances rappées en aussi peu de temps (les concerts commençaient vers 13h pour finir à 2h du matin, sans interruption) nous a permis d’émettre un constat général sur les concerts de rap en festival. Et il est plutôt mitigé. En effet, les performances sont inégales, et très souvent en dessous d’un concert en salle du même artiste.

Bu$hi. Paul Bourel 2023

S’il est évident que le contexte joue sur la performance (concert court et extérieur, en pleine journée, etc), les artistes nous laissent la sensation qu’ils n’ont pas d’autre moyen de s’exprimer en festival que par l’énergie. Certes on s’amuse, on fait la fête, mais nous pensons être en droit d’en attendre plus et de ressentir aussi d’autres choses par moments. La performance de rap en festival ne semble pas laisser beaucoup de place à d’autres émotions : on saute, ou on ne fait rien. Des pogos ou du vide, de l’énergie ou de l’ennui.

L’équipe de LREF était cet été au plus grand festival de rap d’Europe: les Ardentes ! Un régal que l'on a digéré tranquillement. Voici notre débrief, avec du recul ...
Lujipeka. Paul Bourel 2023

L’énergie des artistes peut donner lieu à de formidables concerts. Mais ce qui est plus dommageable, c’est que leur marge de manœuvre est appauvrie et que les concerts finissent par se ressembler. A coups de « vous êtes chauds bouillants ce soir les Ardentes !! », les rappeurs rentrent dans un jeu peu créatif qui leur permet de se reposer sur des acquis, parfois d’être suffisants (playback, chant sur instru et on laisse chanter le public, pas de performance scénique ou scénographie inexistante, …).

Le concert de Travis Scott en est un bon exemple. Arrivé avec un retard qui serait un bon redflag en date, parti en avance, sa performance nous est apparue d’une criante pauvreté. Sans aucune proximité ou mot pour le public, le rappeur texan s’est contenté de sauter et crier sur une scène très épurée. De tels cris qu’on a même eu du mal à reconnaître tout de suite Highest in the Room… La pyrotechnie, certes bien maîtrisée, n’a pas empêché notre équipe de se sentir un peu lésée. C’est plutôt étrange quand on écoute la créativité musicale dont il fait preuve sur Astroworld ou Utopia.

Promis nous ne sommes pas d’éternels insatisfaits. Au cœur de cette monotonie, nous avons aussi fortement apprécié certaines performances : celles qui ont fait preuve de créativité ou ont déjoué nos attentes.

Kendrick Lamar, certes parti en avance (comme c’est un Américain il avait sûrement quelque chose de mieux à faire, comme prendre un avion, il devait être pressé…), a délivré une très belle prestation, notamment grâce à sa horde de danseurs et leur chorégraphie hors du temps. Kaaris, entre gros singles et blagues grasses avec le public (même si on n’a toujours pas envie d’être sa fille ou son fils), a offert un show historique accompagné de Kalash Criminel. SCH s’est quant à lui démarqué en jouant avec nos attentes par quelques morceaux bien placés pas forcément mainstream (Skydweller, Ivresse et Hennessy, …) et surtout une fin en apothéose : alors qu’on aurait pu parier une fin sur un Fade Up ou un Bande Organisée, il casse le rythme monotone grâce à un nostalgique Fusil – que certaines jeunes pogoteurs ont osé ne pas connaître. L’oreillette défaillante de Rounhaa ne lui a pas empêché de communier religieusement avec une magnifique fosse remplie de canards criant « Bébé sauve moi » (Music sound better with you). Mairo, incandescent, s’est fait maire de Liège le temps d’une après-midi. L’autre beau moment de partage a eu lieu pendant le concert de Lesram, au rap traditionnel de bicraveur, tant son public connaissait bien ses seize.

Kendrick Lamar. Paul Bourel 2023

Evidemment, d’autres performances sont à souligner (Rae Sremmurd, Limsa, Dinos et ses mots pour Nahel), ce qui rééquilibre notre jugement sur ce beau festival. Quand on sait à quel point les festivals sont rentables et importants pour la vie économique des artistes (voir la vidéo Streetpress sur le sujet – ), on se doit d’être encore plus exigeants sur leurs performances. La musique doit être centrale, de qualité, et ne doit pas s’effacer derrière le caractère festif de l’événement. On sait qu’on en demande beaucoup, mais c’est parce qu’on aime beaucoup le rap et qu’au fond on est juste un peu frustrés d’avoir raté Booba

On vous explique comment le rap s'est imposé en festival | FACTS

About Paul Bourel

Paul Bourel
Jeune Crack Géographe qui travaille sur le rap donc forcément quand ils disent "C'est nous le Grand Paris" ou "Boulogne Tristesse" il aime bien

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