Avec notre série Les Nanas du rap game (en hommage au titre d’Isha), nous explorerons les coulisses du rap francophone et ceux qui le font, mettant en lumière le travail des femmes, qui opèrent dans l’ombre. Attachée de presse, scénariste, directrice artistique, manager… Au sein de l’association bordelaise Parti de rien, Goom est un peu tout ça à la fois. Portrait d’une nana du rap game qui n’a pas froid aux yeux.
“Désolée d’être un peu en retard, j’étais en entretien avec un rappeur”. Elle est comme ça, Goom : à peine un rendez-vous terminé, elle enchaîne direct avec notre interview, qui va durer pratiquement une heure, sans pause, et sans qu’elle affiche le moindre signe de fatigue ou d’agacement. Au contraire : à peine une question posée, et elle parle pendant une demi-heure sans interruption. Mais d’où lui viennent toute cette énergie et cette gouaille ? “Quand j’ai eu ma fille, j’ai eu besoin de trouver un nouveau taf. J’ai trouvé un boulot dans la vente, et ça a été une petite révélation pour moi. J’ai appris à avoir un meilleur contact avec les autres, et surtout, ça a réveillé le côté challenger que j’avais en moi” raconte celle qui avait commencé par faire des études dans le social pour devenir éducatrice spécialisée.
Pourtant, dans cette boutique de vêtements, on vend uniquement des sapes pour mecs, et ses collègues ne sont que des hommes. Pas un problème pour Goom : au fil du temps, grâce à son caractère, elle devient la leader, entraîne les autres dans son élan, et défonce tous les objectifs fixés par son patron. Devenue ambitieuse comme jamais, elle décide de quitter son boulot. Son chéri réalise des vidéos et fait du montage ? Bingo : elle sera sa directrice artistique. “C’est moi qui gère les scénarios, les castings, les lieux…”. Elle crée son statut d’auto-entrepreneur, et avec son amoureux, ils réalisent du contenu vidéo pour des clients venus d’univers variés : les mariages, l’immobilier, la chirurgie esthétique…
Mais leur vraie passion à tous les deux, c’est le rap. Alors, fin 2018, avec leur meilleur ami Kévin, ils décident tous les trois de créer une association, Parti de rien. Le but ? Rassembler divers talents artistiques (aujourd’hui plus d’une centaine) au sein d’une même structure, afin de se filer un coup de main en cas de besoin, que ce soit pour le tournage d’un clip, ou pour la logistique d’un concert par exemple. “On a des meufs qui font du make-up, du cirque, de la peinture.. On fait appel à eux dès qu’on a besoin pour un tournage”.
Résultat ? Des clips avec un effectif digne de ceux des maisons de disques, sauf que zéro euro n’a été dépensé, ou alors très peu. “Il y a des clips dans lesquels il y a vingt figurants, trois ou quatre voitures, deux ou trois logements… Et on a sorti que vingt balles”. Dis comme ça, ça semble presque trop beau pour être vrai… Les gens acceptent de venir bosser gratuitement, vraiment ? “Ça leur fait plaisir de participer à un truc, et de passer un bête de moment. Les connexions se font aussi sur le tournage. On est prêts à investir les uns sur les autres… ça ramène pas d’argent, mais un putain de réseau, de la crédibilité, de l’expérience.”
L’expérience, elle l’engrange aussi au fil des mauvaises aventures et des couacs, à commencer par la déconvenue avec le premier rappeur dont l’asso’ s’occupait. Alors que c’est lui qui leur a donné envie de se lancer dans l’aventure (“il rappait tout le temps en bas de là où on habitait. C’est en le rencontrant qu’on s’est dit qu’il y avait un truc à faire”), finalement, l’histoire se termine en eau de boudin. “Il commençait à se faire des films sur nous, à faire des fixettes… C’était un peu dur pour l’ego, car c’est la première personne en qui on a cru. Mais c’est en tombant qu’on apprend à marcher…” Aujourd’hui, ils sont trois rappeurs bordelais à être chapeautés par Parti de rien : Gor Saï Saï, Orcim et Mvlazia.
Être une meuf dans le rap
Des mauvaises expériences, Goom en a aussi vécu en tant que nana dans ce milieu à la prédominance masculine qu’est le rap. À commencer avec l’un des artistes qu’elle chapeaute avec Parti de rien, avec qui il a fallu qu’elle gagne sa confiance petit à petit. “Pendant un an et demi, il ne pouvait pas me regarder dans les yeux. Il était super mal à l’aise. Alors que je lui donnais plein de conseils, que je lui faisais toute sa com’… Mais quand on se parlait, il ne me regardait pas. Je ne sais pas si c’était une forme de respect ou non, un truc de quartier…Mais aujourd’hui, quand on en parle, on en rigole.”
Les tournages de clips, c’est encore une autre histoire. Car malgré sa forte personnalité et sa grosse voix, Goom reste une meuf. Alors, au moment de faire passer des consignes, il faut parfois qu’elle use de subterfuges pour arriver à ses fins. “Une fois, alors que les figurants d’un clip ne m’écoutaient pas, j’ai dit à mon collègue de placer tel ou tel mec à tel endroit. Et bizarrement, quand c’est lui qui l’a dit, ça a marché…” Mais pourquoi une telle différence de considération quand c’est un homme ou une femme ? “Je pense que c’est une question d’habitude. Si un mec et une meuf commencent à parler en même temps, ils écouteront le gars. C’est un peu comme leur mère, ils l’écoutent d’une oreille…”
« J’ai pas besoin du féminisme pour ouvrir ma gueule »
Mais malgré l’omniprésence d’hommes sur les tournages, hors de question pour elle d’adapter sa tenue pour se faire moins remarquer, au contraire des deux filles de C’est pas un film (dont on vous pouvez retrouver le portait en cliquant ICI) : si elle s’habille en jogging, c’est juste parce qu’elle aime ça. “Ma vie c’est d’être en jogging. Je suis assez masculine dans ma façon de m’habiller. Je ne suis jamais en talons, plutôt en baskets. Et puis je viens pour mes talents professionnels. Je ne veux pas que ce soit faussé par autre chose, comme ma façon de m’habiller par exemple.”
Et ne vous attendez pas à voir Goom manifester le samedi dans les rues de Bordeaux pour réclamer plus de droits pour les femmes : le féminisme, très peu pour elle. “Moi je ne me retrouve pas forcément dans le féminisme. J’ai pas besoin du féminisme pour ouvrir ma gueule. C’est une question de personnalité je pense : si jamais il y a un problème, comme j’ai plutôt un fort caractère, je ne vais pas m’écraser, même si je suis une meuf.” Une forte personnalité qui peut s’avérer parfois déstabilisante pour certains, et qu’elle essaye de tempérer. “Si je dis quelque chose, c’est pas méchant. C’est que je veux aider, comme je le ferais avec un membre de ma famille. Mais c’est vrai que je suis très exigeante. Parfois trop… J’essaye de me calmer (rires).”
Le futur pour Goom ? Un nouvel enfant d’abord, pour elle qui est actuellement enceinte. Et puis elle continuera sans doute aussi ses Story sur Instagram, elle qui est extrêmement présente sur le réseau social. « Ça fait aussi partie de cette envie d’être dans le partage. J’ai plein de copines qui se sont mises à cuisiner parce que je fais des vidéos dans lesquelles je cuisine de temps en temps…Je suis inspirée par d’autres personnes, et j’essaye de relayer ce sentiment, d’être inspirante à mon tour, à mon niveau”. Quant à Parti de rien, ils vont continuer à tourner des clips de rap dans la région bordelaise, en espérant un jour que l’un d’eux explose sur la scène nationale (« aujourd’hui, tout le monde reste chacun dans son coin, il n’y a pas d’entraide. C’est dommage”). Leur rêve ultime ? Devenir un label. Partis de rien, on arrive à ce qu’on vise…