crédits photo : Ol’ Dirty Bar
Pour ouvrir notre semaine dédiée au rap à Montpellier, il nous paraissait nécessaire de retracer dans les grandes lignes l’histoire de cette scène méridionale.
Ce genre de tâche est souvent ardue pour qui ne baigne pas dans la sphère hip-hop locale, mais un petit travail d’enquête et de précieux aiguillages ont permis de construire un bilan à peu près satisfaisant. Car, derrière les gros noms des années 2011-2016 (Joke/Ateyaba et Set&Match) et les fines plumes célébrées à l’échelle nationale (Lacraps, Sameer Ahmad, Vin’s…), la capitale héraultaise et ses alentours cachent un passé et un présent underground relativement riches.
Les années 90-2000 : des pionniers discrets
Partir bille en tête pour retracer les prémices du rap montpelliérain s’est révélé être une tâche bien complexe. Après quelques recherches infructueuses dans les tréfonds du Net, la meilleure option était de se tourner vers des acteurs locaux, et pas des moindres. Cette partie du dossier doit donc beaucoup aux indications fournies par Sameer Ahmad et Lacraps au cours de l’interview réalisée dans le cadre de cette semaine spéciale, que vous pourrez retrouver dans nos colonnes en fin de semaine.
Dans les années 90 et 2000, il est clair que la scène montpelliéraine n’est pas sous les projecteurs des médias rap et généralistes ; quand ces derniers pointent vers le sud, c’est en direction de Marseille, ou éventuellement de Nice et des villes à proximité. A l’orée du siècle, quelques groupes paraissent néanmoins avoir rencontré un écho non négligeable, dépassant le cadre strictement local : Oxford Univers Cité, Originaires du Sud (qui ont croisé le micro avec Nikkfurie) ou encore Récidivistes Crew (qui affichent notamment une connexion avec le Saïan Supa Crew en 1999). A peu près à la même période, le groupe Réalité Anonyme, composé de Volont-R et Barseuloné, semble connaître un certain succès critique avec les albums La vérité n’a pas d’hymne (1999) et La conception (2003), en pratiquant un rap tourné vers l’éthique musulmane.
D’autres groupes font vivre le rap montpelliérain dans la deuxième moitié des années 2000 et au tout début de la décennie 2010. Fondé en 1997 et proche du milieu graffiti héraultais, le MPA Crew gagne en visibilité en 2011 avec le titre Supporter du rap. La même année, G.R.E.G, encore en activité aujourd’hui, livre le morceau Dans les rues d’ma vie. En 2011 toujours, le groupe La Sentence, épaulé par Solda Mar One, sort l’EP Le vécu d’1 life. Ces derniers enregistraient dans le même studio que Lacraps, artiste qui, comme le souligne justement un article de Red Bull, a joué le rôle de trait d’union entre cette période « confidentielle » et l’époque suivante.
2011-2016 : MTP dans la lumière
Délaissant le boom-bap, des artistes montpelliérains vont chercher, vers 2011-2012, à importer dans l’Hérault un modèle de « rap du sud » fortement inspiré par la frange méridionale du rap US, alors en plein état de grâce. Avec leurs premiers albums, sortis respectivement en 2011 et 2012, Set&Match et Joke placent pour de bon Montpellier sur la carte du rap francophone. Avec des titres comme MTP Anthem ou MTP Bop a Lula, ils donnent à la ville des hymnes qui aujourd’hui encore font référence. Si la musique de Set&Match est plutôt planante, celle de Joke résolument trap, les deux grands noms du rap montpelliérain ont en commun un certain avant-gardisme, peut-être à l’origine de leur longévité réduite.
La première moitié des années 2010 est également une belle époque pour la scène indépendante du 34. Dans le sillage de Demi Portion, qui rencontre un succès croissant à partir de 2011, plusieurs artistes émergent et se connectent aux scènes parisienne, marseillaise ou bruxelloise. Parmi les noms qu’on garde en tête, et dont Le Rap en France a souvent fait l’éloge, on peut retenir Lacraps et ses comparses de LaClassic (Nedoua – devenu N.E.D.Z – Mélis, Starline), la très talentueuse Eli MC, le bouillonnant groupe Le Traitement, ou encore Tekilla et Lost, formant le Mer2crew, renommé Emtooci vers le milieu de la décennie. Les featurings présents sur Machine à écrire de Lacraps, Trace d’opium d’Eli MC ou Le retour du sombre héros de Tekilla montrent l’alchimie et l’émulation qui règnent alors au sein du rap indé montpelliérain, et héraultais de façon plus générale.
D’autres projets importants sont livrés à cette période par des rappeurs installés à Montpellier mais moins directement connectés à la scène locale : Freeson de Vin’s et Perdants Magnifiques de Sameer Ahmad. Ces très bons albums sortent tous deux en 2014, année qu’on peut considérer comme charnière dans l’histoire du rap montpelliérain puisque, outre les deux opus précités, paraissent également Machine à écrire de Lacraps et Ateyaba de Joke.
L’effervescence de cette période se vérifie aussi sur scène. Le Rockstore, salle mythique du centre de Montpellier, accueille les têtes d’affiche rap, pendant que LaClassic et les artistes gravitant autour multiplient les concerts à L’Antirouille, quelques centaines de mètres plus loin. Par ailleurs, en 2015, s’ouvre dans une rue du centre-ville le Ol’ Dirty Bar, qui devient rapidement un repère pour la scène hip-hop underground et au-delà. Des dizaines d’événements (concerts, open mics, expositions) y sont organisés, et la notoriété du lieu dépasse vite le cadre local.
L’amalgame des albums, des freestyles et des concerts donne l’impression que la période 2011-2016 constitue – le mot est, on le sait, balancé un peu à toutes les sauces aujourd’hui – un âge d’or pour le rap montpelliérain. Il faut préciser que l’auteur de ces lignes a vécu à Montpellier entre 2013 et 2016, ce qui peut biaiser quelque peu l’analyse. Toutefois, il est clair que la ville s’impose dans le paysage rap hexagonal durant ces années, avec des artistes qui posent des fondements en termes de musique et de structures, encore bien en place en 2021.
Des braises encore chaudes
Le rap montpelliérain s’est enflammé dans la première moitié de la décennie passé, puis le brasier s’est un peu réduit : Set&Match se sépare en 2017, l’album de la consécration pour Joke/Ateyaba est devenue une des plus grandes chimères du rap français, plusieurs artistes de talent ont posé le micro ou ont diminué leur activité, et le Ol’ Dirty Bar a définitivement fermé ses portes à l’issue du confinement du printemps 2020. La « relève » du rap héraultais a rencontré une exposition moins importante que la génération précédente, mais cela ne veut pas dire qu’il n’y ait plus personne pour attiser la flamme, bien au contraire.
D’une part, plusieurs artistes bien identifiés depuis au moins sept ou huit ans poursuivent des carrières stables, jalonnées de projets de qualité, à l’image de celles de Sameer Ahmad, Vin’s ou Lacraps. Ces derniers s’entourent de structures susceptibles d’accompagner leur évolution, mais également de mettre en avant la scène montpelliéraine : Vin’s a par exemple signé chez Capitol en 2018, et Lacraps développe depuis plusieurs mois le collectif 34emedegré, avec entre autres Polva, Illtoo, Roya Killa, etc.
Par ailleurs, éparpillée entre Sète et Montpellier, une nébuleuse de rappeurs et de rappeuses undergound continue de souffler sur les braises de fort belle manière. Ces noms (Ekloz, Petitcopek, Dab Rozer, Frères d’art, Le Groove de l’Empereur, LARAiZ…), on les retrouve dans de nombreux freestyles diffusés sur YouTube, sur les ondes des radios locales et à l’affiche de concerts passés et futurs. Plusieurs de ces artistes revendiquant leur appartenance sétoise, il faut préciser que la scène rap héraultaise, polarisée par Montpellier et ses structures (salles, radios, studios), demeure bicéphale : sous l’impulsion de Demi Portion, Sète est devenue un pôle à part entière dans le paysage rap français qui continuera, on l’espère, de rassembler des dizaines d’artistes au mois d’août à l’occasion du Demi Festival.
S’il est compliqué de faire la liste exhaustive des artistes émergent.e.s dans le 34, on vous reparlera quand même de cinq rappeurs et rappeuse à suivre de près dans notre Nouvelle FRap ! de cette semaine, spécialement consacrée à l’Hérault.
Le triomphe de l’humilité
Pour terminer ce tour d’horizon en bonne et due forme, il reste à analyser le rap à Montpellier en tant que communauté humaine et musicale. Il y a bien un rap montpelliérain, identifié et dynamique, mais y a-t-il une « scène » rap dans le 34 ? Autrement dit, y a-t-il suffisamment de liens entre les artistes et de points communs dans les sonorités et les thèmes pour qu’on puisse parler de scène montpelliéraine (on vous renvoie ICI à notre article dédié aux scènes locales dans le rap FR) ?
Pour ce qui est des connexions entre les artistes, on a vu dans les lignes qui précèdent qu’elles ont été – et continuent d’être – nombreuses à MTP, plus encore grâce à des structures et des initiatives (Ol’ Dirty Bar, freestyles organisés par la boutique Grands Ensemble) développées ces dernières années. En ce qui concerne l’existence d’un « son montpelliérain », les choses sont un peu plus floues. Si le trio Set&Match pratiquait un rap qu’on pouvait étiqueter « sudiste » dans la forme comme dans le fond, force est de constater que ni ce style ni celui de Joke n’ont fait énormément d’émules dans la ville. La cohérence musicale du rap montpelliérain n’est donc pas à chercher du côté des prods, mais plutôt dans les textes et dans les postures.
Si on met de côté Set&Match et Joke/Ateyaba – qui aujourd’hui ne sont plus les principaux représentants de MTP dans le paysage rap FR – l’élément rassemblant la scène héraultaise est peut-être l’humilité qu’on ressent dans le discours de ses acteurs. De Demi-Portion le « petit bonhomme », à Lacraps (« au fond je sais que je suis personne »), en passant par Sameer Ahmad, qui se considère « un parmi des millions », les artistes du 34 semblent mener leur barque en mettant en avant la simplicité. Cela ne les empêche pas de faire dans l’égotrip, mais la posture globale reste humble, et paraît commune à bien des rappeurs et des rappeuses méridionaux.
Il y a bon nombre d’artistes rap de Montpellier qui n’ont pas été mentionné.e.s ici, mais vous pourrez en retrouver certain.e.s dans les articles qui, tout au long de cette semaine, vont compléter ce dossier, et mettre l’accent sur la vitalité présente de la scène montpelliéraine.