Un an de coronavirus, c’est aussi un an de Covid-19 vu par le rap français. A l’occasion de ce triste anniversaire, retour sur la manière dont le rap français parle du Covid.
Il s’est installé dans notre quotidien, et donc dans le rap français. Le Covid-19 arpente depuis des mois les albums de nos artistes préférés, en toile de fond. Un simple « Le port du masque est obligatoire » par Vald sur le morceau Royal Cheese extrait de son album commun avec Heuss L’enfoiré suffit ainsi à nous rappeler la présence du virus. Comment le rap nous parle-t-il du coronavirus ? Maladie anxiogène, source de punchlines, scandale politico-sanitaire ? Comme souvent avec le rap français, les réponses sont multiples.
Il y a ceux qui utilisent le Covid-19 pour s’y comparer. Le virus est pris comme une incarnation de la toute-puissance (il est hyper-contagieux, hyper-dangereux), à laquelle le rappeur se mesure. Sur la Bonus track de 13 organisé, deux rappeurs utilisent ce motif : Many (« immortel comme le Covid ») et Fahar (« ça s’propage comme le Covid »). Dans le même genre, RK fait encore plus simple : « J’arrache tout comme le Covid » (Billie Jean (Remix)). Sur ce type de phrases, le Covid n’est qu’un prétexte d’actualité pour développer une figure de style vieille comme le monde.
Le gouvernement pointé du doigt
D’autres artistes parlent en revanche du Covid pour parler de politique. Les morceaux thématiques ont fleuri en mars dernier, lors du choc du premier confinement. On retrouve les habitués de l’exercice, comme D.Ace, qui s’essaie à un exercice poussif de personnification du virus (Coronavirus). Vin’s, lui, sur l’engagé PCGPCP, parle des hypocrites au pouvoir qui avant le virus portaient déjà un masque – image que L’Algérino utilisera plus tard, et qui a sans doute vocation à devenir un poncif et une fausse bonne idée du rap français de ces prochains mois (un peu comme les phases qui commencent par « Le savoir est une arme »).
Un peu plus piquant (pertinent ?) politiquement, Dooz Kawa réunit une brochette de rappeurs fin mars pour évoquer la crise en cours sur Urgence Musicale. On y sent le souffle de panique qui traversait alors la France, de Swift Guad qui rend hommage aux aide-soignantes à Davodka qui évoque la mauvaise gestion de la crise sanitaire.
De Dooz Kawa à D.Ace les morceaux politiques sortis pendant le premier confinement incitent à rester chez soi. A l’inverse, le morceau de Scylla, sorti le 3 avril, apparaît comme une voix dissonante, puisqu’il dénonce l’obéissance aveugle à cette consigne : « Je n’vais pas toujours rester confiné à ma place, être ce gentil singe qui n’est bon qu’à imiter » (Le son de l’été). Entre ceux qui défendent les libertés individuelles et ceux qui priorisent la santé de tous, le débat faisait déjà rage au printemps dernier.
Et puis pour finir sur le volet politique, l’une des lignes les plus efficaces vient peut-être d’un artiste que l’on attendrait beaucoup moins dans ce registre, à savoir Le Motif qui nous gratifie d’un « Le Covid nous aura au profit de Bezos » (Bla Bla Bla), dès la fin août, loin d’être à côté de la plaque.
Le quotidien au temps du Covid
Assez de politique, parlons un peu de ce que le rap fait souvent le mieux, à savoir décrire la vie quotidienne à hauteur d’hommes – ici au temps du Covid. Sans grande surprise, Jul est évidemment le plus présent dans ce domaine, évoquant les tests, l’ennui du confinement, les samedis sur le Vieux-Port de Marseille où le virus plane… Pour celui qui puise ses textes directement dans son expérience, impossible de passer à côté du sujet.

Les gestes-barrières incarnent tout particulièrement la manière dont le coronavirus vient changer notre quotidien. Les rappeurs regorgent de recommandations à ce sujet. Il y a les plus sérieux comme Jul (encore) : « Dis bonjour du pied, y a le Covid » (13 Balles). Il y en a des plus blagueurs comme Damso (« Mets pas la langue j’veux pas le Covid » sur MEVTR) ou Nahir (« J’tousse dans l’coude, t’auras peut-être l’impression qu’je dab » sur Covid-93). Et puis, il y a ceux qui ont une lecture franchement personnelle des mesures sanitaires comme Kalash Criminel sur le titre Shooters de Mac Tyer : « Avec ta mère, j’ai passé l’confinement / Son string léopard me servait de masque ».
Le confinement vu par le rap
Un enchaînement toute en subtilité du Grand Crimi qui nous fait une transition parfaite pour aborder le thème du quotidien qui a pour l’instant le plus inspiré nos rappeurs depuis un an : le confinement. Trois rappeurs lui ont consacré un morceau : Jul (toujours – même s’il ne tient pas le thème tout le long du morceau), Hippo (ex-Hippocampe Fou), et Davodka. Le second, dans le freestyle Confiné publié dès le 16 mars décrit son quotidien décalé de père de famille, tandis que le troisième sur Apéro visio évoque son quotidien, mi-blasé, mi-révolté, avec la plume politique qui le caractérise.
Le confinement, il y a ceux qui l’ont bien aimé, comme Kikesa : « Le confinement, boy, c’était pas mal / Dans ma chambre, j’rappe, j’télé-travaille » (Mort de rire). Il y a aussi ceux qui réfléchissent à des stratégies d’amélioration comme Alpha Wann sur sa dernière mixtape remarquée : « Prochain confinement, il faut une maison » (philly flingo).
Au-delà d’un simple prochain confinement, Don Dada espère aussi des jours meilleurs, à la fin de la crise. Il clame : « Après le Covid, c’est Acapulco » (ligne qu’il fait habilement rimer avec « ninja sous coke » dans la lune attire la mer). Il faut dire que la crise du Covid nous a tous éprouvé et mis à nu, comme le synthétise Booba sur Dolce Vita : « Covid-19 est arrivé, j’n’ai plus que ma feuille et mon crayon». La solitude, le manque du contact des autres, le sentiment d’isolement… Chacun rêve de l’après-Covid. Et celui qui, avec candeur, l’exprime le mieux, c’est Captaine Roshi sur Nos idées: « Après l’confinement, je veux des caresses ».
A l’issu de ce tour d’horizon non-exhaustif des espoirs, des doutes et des colères des rappeurs face au coronavirus, il apparaît toutefois que le thème n’a encore été que peu abordé en profondeur, si l’on met de côté les spécialistes du « morceau dans l’actu » (du décalé Hippo au revendicatif Davodka). Le rap français n’a-t-il finalement pas l’envie de parler en longueur de cette crise mondiale ? Est-il plus à l’aise sur d’autres thèmes ? On peut aussi croire que les quelques lignes bien senties sur la crise du coronavirus que nous avons repérées seraient une première vague, « à chaud », de réactions à cette crise, et que la seconde vague de morceaux permettra pleinement aux rappeurs et rappeuses français de narrer finement la vie au temps du Covid.