Un retour sur les premiers projets de Vald, comme une invitation à plonger au cœur du pays de Sullyvan.
Alors que Vald vient de lancer son label et la compilation dédiée (Échelon Volume I, disponible ici), ainsi que d’annoncer un album commun avec Heuss L’Enfoiré (pour en savoir plus, c’est ici), l’heure est sans doute venue de revenir sur ses premiers projets, pour voir comment on est passé de ses premiers EP NQNT 1 et 2 au récent Ce monde est cruel.
En effet, contrairement à ce que pourrait croire une partie de ses auditeurs, Vald a déjà une carrière relativement longue, commençant à publier des morceaux il y a déjà plus de 8 ans. Si son buzz a vraiment explosé entre Agartha et Xeu et a été assis définitivement avec Ce monde est cruel, sa carrière est en réalité bien plus longue, et mérite qu’on s’y penche un peu plus.
L’idée de cet article est donc de proposer une petite rétrospective des projets du début de carrière de Vald, pour vous donner envie, pourquoi pas, d’y (re)plonger à votre tour. Il sera fait exception par contre de ses deux mixtapes ou compiles, NQNTMQMQMB (pour Ni Que Ni Tête Mais Qui Met Quand Même Bien) et Cours de Rattrapages, qu’il sort en 2012, car ce ne sont pas des projets pensés comme tel, mais bien des compilations où l’on retrouve de nombreux morceaux des débuts de Vald.
Complots, drogues et absurde : le rap du début de Vald
De fait, toute une part de la carrière de Vald est très différente de ce qu’il produit maintenant : NQNT, NQNT 2, ou encore Agartha, ça n’a rien à voir avec ce qu’il fera après. Pour présenter un peu le Vald de cette époque avant de rentrer plus en détail dans ses projets, il faut dire qu’il avait une image assez particulière. Vu d’abord comme un rappeur étiqueté « classique », qui traîne du côté de Lyon et fréquente le collectif l’Animalerie (on le trouve notamment sur l’incroyable morceaux N°02062014,2, juste ici), il est notamment proche de Georgio (voir à ce titre le morceau Tu sais s’qui s’passe).
Mais très vite, sa personnalité, son vocabulaire et ses propos font qu’il va gagner une autre étiquette, celle de rappeur « absurde », « excentrique », « surréaliste ». En langage journalistique, ça veut dire « on ne le comprend pas mais c’est marrant ».
Et c’est en partie justifié. De fait, si vous écoutez les premiers morceaux de Vald (Winston, Ostud, CQFD ou Smiley par exemple), quelque chose le distingue des autres rappeurs dont il est proche : on a clairement l’impression qu’il est défoncé, qu’il se moque presque de nous. Vraiment, ce qui ressort de sa musique à l’époque, c’est cette absence de sérieux : l’intro de Smiley (« Okay, j’aimerais commencer d’abord ce morceau avec une introduction métaphorique, euh, voilà / Jouer les loubards, c’est bon pour les putes »),le clip de Ostud ou celui de Winston…
On pourrait multiplier les exemples presque à l’infini, et je vous invite à aller par vous même les chercher dans les morceaux, les lyrics, les clips, le début de sa carrière en est vraiment remplie. Bien sûr, c’est un aspect de sa musique qui n’a pas disparu aujourd’hui, mais à l’époque il était quasi omniprésent.
Mais Vald est, dès ses débuts, plus qu’un simple rappeur grotesque. Entouré pour le Agartha Tour (et même auparavant) par Dj Weedim, Julius, Biffty et toute sa clique, il parle également beaucoup de drogues, créant un personnage au style très marqué par les produits stupéfiants. Et si on peut aimer cet aspect de sa musique, c’est aussi ce qui lui sera reproché tout au long de sa carrière, le fait de faire du rap de drogué, pour les drogués (ce qu’il dira lui même en se parodiant sur Trophée :« je fais de la musique de drogué, car j’aime me droguer« ).
Enfin, et c’est ce qui plaira sûrement aux fans de Freeze Corleone (que Vald a d’ailleurs participé à faire découvrir), il y a un véritable aspect complotiste dans ses morceaux, qu’il a encore gardé quelque peu aujourd’hui.
Le V fait en effet des références abondantes à l’univers complotiste, allant des chemtrails aux reptiliens, auxquels il a d’ailleurs dédié la fin du morceau Barème :
"Mimi Mathy: reptile très petit /Pyramide, pentagone, pentacle et triple six / Dilapide v'là la daube en musique, dans les films, en radio (en radio) / BHL: reptile très hostile / Reptile très toxicomane aussi / Y'a même Laure Manaudou qu'a des écailles / Au pire faut qu'j'arrête mon listing / Ils s'faufilent même entre les briques /Ils entendent tout c'que j'enregistre"
Complot, drogues et grotesque : voilà pour les premières bases de cette partie de la carrière de Vald. Plongeons maintenant dans le détail des trois projets de cette époque, NQNT, NQNT 2 et Agartha.
NQNT (2014) : tout Vald dans un EP
NQNT est donc le premier véritable EP sorti par Vald, et annonce ce que sera son style jusqu’à environ Agartha. On y retrouve en effet tout ce qui fera son succès par la suite : une personnalité fantasque, des lyrics détonants, et un non-sens revendiqué (en témoigne le nom de l’EP , NQNT pour Ni Que Ni Tête), tout était là pour créer le Vald que nous connaissons aujourd’hui. Vald y présente un ‘univers de la drogue, autant dans les lyrics que dans les sonorités (pensons à la phrase sur Par Toutatis : « De l’amphèt j’en ramène; c’est mes rimes, j’te jure, ça ranime »), ainsi que dans les personnages développés par Vald.
Car oui, cet EP est l’apparition d’un personnage majeur, décisif dans la carrière de Vald, le fameux Sullyvan. Sorte de monstre lezardesque, mystérieux et grotesque, Sullyvan est un personnage qu’incarne Vald dans sa musique, et notamment dans le morceau éponyme.
L’effet que fait Sullyvan sur Vald et sur sa musique est complexe à décrire, sorte de fascination étrange qu’à l’auditeur pour ce personnage fictif, et de recul face à l’aspect humoristique et délirant de la créature. Rien que sa présence et son histoire suffisent pour moi à motiver l’écoute de l’EP. Créature irréelle, Sullyvan aurait d’ailleurs, selon la légende, plus de 300 ans….
Plus sérieusement, l’apparition de Sullyvan sur ce projet est un très bon exemple de pourquoi je vous conseille de l’écouter pour comprendre Vald. Il est si important dans la construction du rappeur que l’on connaît actuellement que Vald a gardé des traces de ce personnage, qui se trouve encore dans le nom de sa chaîne Youtube ou de certains réseaux sociaux.
Mais aussi et surtout, ce personnage est à l’origine de plein de choses qui reviendront plus tard chez Vald : le délire fait penser à Lezarman, autre créature évoquée par Vald sur Agartha, mais s’inscrit également dans tous ces morceaux où Vald utilise sa voix pour incarner d’autres personnages, comme sur Strip par exemple, présent également sur Agartha.
Pour vous donner envie d’écouter cet EP, je dirai que sa place dans la carrière de Vald est la même que celle de Reservoir Dogs dans celle de Tarantino : tout le style de leur créateur y est déjà.
Le rap « de drogué » ? C’est déjà sur Par Toutatis et Autiste. Les morceaux sérieux où Vald rap avec technique ? C’est déjà présent sur C’est Pour ou sur Aulnay Sous Bois. Suikon Blaz AD ? Déjà en feat sur Flowjob. Vald écrit également déjà des morceaux à thème, notamment Elle me regarde, chanson particulièrement glauque qui rappelle le Kim d’Eminem, à qui Vald a beaucoup été rapproché dans ses débuts.
Comme chez Tarantino donc, on ne peut pas faire l’impasse sur la première œuvre, car en vérité toute l’essence artistique de son auteur y est déjà cristallisée, synthétisée, comme une sorte de catalogue de ce que sera sa carrière par la suite. Et cela ne se révélera que plus vrai une année plus tard, quand Vald sortira le deuxième opus des NQNT.
NQNT 2 (2015) : deuxième jet et premier buzz
En 2015, Vald sort en effet NQNT 2, et marque ses premiers gros coups. Même si Par Toutatis et Autiste avaient fait parler d’eux, c’est clairement avec Bonjour que Vald lance le premier véritable tube de sa carrière. Véritable phénomène lors de sa sortie, le morceau marque par ses lyrics, son histoire, mais aussi son clip, très remarqué à l’époque. C’est là d’ailleurs que se révèle un aspect très important de la musique de Vald, à savoir ses visuels.
C’était déjà le cas avec les clips de Shoot un Ministre ou de Autiste, mais on passe un cap avec cet EP. Vald fait ainsi la part belle aux clips concepts, comme Urbanisme ou Barême, qui pour ce dernier présente un plan simple, ou plusieurs altérations du rappeur apparaissent à l’écran pour renforcer l’aspect bizarre et décalé du morceau. Et cette idée de faire des clips concepts, (qui est antérieur à ce projet là chez Vald car il s’était essayé au court-métrage avant le rap) on la retrouvera par la suite dans toute son œuvre (on peut penser aux clips de La Réussite, de Eurotrap, de Mégadose, Rappel ou encore Si j’arrêtais pour ne citer qu’eux).
Mais au-delà de Bonjour, pourquoi donc écouter NQNT 2 ? Et bien déjà parce que, il faut le dire, il a beaucoup mieux vieilli que le premier opus. Si le premier peut paraître très brouillon, au son parfois old-school, ces défauts là s’effacent beaucoup avec NQNT 2. Plus condensé dans les idées, plus clair et plus efficace, le projet est encore mieux mené, témoignant de la qualité grandissante des propositions de Vald.
Et puis l’EP est rempli de bonnes idées. Le morceau Retour, où Vald utilise en guise d’interlude des extraits de la voix de Michel Houellebecq en est un bon exemple, sorte d’ovni rempli de violence et d’intensité, tout comme le morceau Joffrey. Et puis est présent, à côté de Bonjour et d’ Urbanisme, l’autre premier tube de Vald, à savoir Selfie. Lui aussi disponible dans un – ou plutôt trois – clip concept, il est un autre gros moment des débuts dans le rap game de Vald, le faisant découvrir jusque dans les milieux pornographiques (je vous laisse découvrir par vous même, ça se passe ici).
Beaucoup plus iconique de ce que deviendra Vald, NQNT 2 est donc une très bonne synthèse de ses débuts, mais aussi la passerelle idéale pour rentrer dans son premier album, Agartha.
Agartha (2017) : premier album d’un artiste en construction
Deux ans plus tard, voilà enfin le premier album tant attendu de Vald. Et en vérité, il concrétise tout ce qui fait la première partie de sa carrière : l’album est rempli à ras-bord de références aux drogues, aux complots, à des thèmes glauques ou bizarres… Les lyrics et les instrus également ressemblent à ce que Vald a proposé dans les deux NQNT.
On retrouve des morceaux très sombres dans l’ambiance, héritiers de Ogre, de Bonjour ou encore de Aulnay Sous Bois, mais avec un aspect très marqué du grotesque et des lyrics étranges. C’est le cas par exemple de L.D.S, de Libellule ou même de Acacia sur l’album.
Toujours plus précis et plus forts dans sa technique, Vald sort également de très bons moments de rap pur et dur, que ce soit sur Megadose, Kid Cudi, ou encore le classique Vitrine.
Il faut d’ailleurs s’arrêter sur ce dernier morceau, Vitrine, une raison suffisante à elle seule d’écouter l’album. En featuring avec Damso (à une époque où la France découvre seulement ce rappeur, qui vient juste d’éclater), le morceau est à l’époque un énorme phénomène, autant en streaming qu’en live. Encore aujourd’hui, ce tube est toujours dans le top 10 des morceaux les plus écoutés de Vald sur Spotify, preuve de son succès.
Vald rap donc bien sur Agartha, et prolongeant certaines de ses précédentes propositions artistiques, en remplaçant par exemple dans son album le personnage de Sullyvan par l’apparition de celui de Lezarman.
Plus violent par certains aspects, de la production aux lyrics, l’album tend à être aussi plus cohérent, même si Vald explore encore beaucoup (voire trop) de directions très différentes dans cet album. C’est en partie dûe à l’arrivée dans sa production d’une personne essentielle pour Vald, à savoir Seezy.
Très jeune producteur à l’époque, il a vraiment fait énormément de bien à Vald, autant dans sa carrière que dans sa musique. Si ça se voit déjà sur Agartha (Seezy produit 85% du disque, dont le fameux Vitrine), cela le sera encore plus à partir de Xeu et par la suite, où Seezy deviendra le producteur attitré de Vald, produisant la quasi-totalité de ses morceaux.
Bien qu’encore un peu brouillon ou balbutiant, Agartha est donc le premier album de Vald, et le premier de ses projets à avoir une direction – au moins partielle – artistique assumée, par la présence notamment de Seezy.
Toujours aussi délirant, l’album permet un bon retour sur de nombreux morceaux forts et marquants que Vald a pu sortir, qu’il s’agisse de Vitrine, de Kid Cudi, Si j’arrêtais, Blanc, ou encore Néo. Une très bonne idée donc, pour qui veut écouter ce qu’à fait Vald avant le destin qu’on lui connaît aujourd’hui.
En conclusion, que retenir de cette rétrospective ?
Pour clore ce retour sur ce qu’a fait Vald avant Xeu, je ne peux que vous encourager à aller faire un tour dans le pays de Sullyvan. Pour les plus connaisseurs d’entre vous de la musique du rappeur, cela vous conduira certainement à redécouvrir de très bon morceaux, malgré leurs tonalités parfois un peu vieillissantes.
Reste de superbe moments de rap, voire de rap technique, comme sur C’est Pour, Aulnay Sous Bois ou encore Urbanisme. Mais pour ceux qui connaissent majoritairement la seconde partie de sa carrière, vous allez découvrir un tout nouvel univers, bien loin de ce que le V fait actuellement avec Ce monde est cruel ou en featuring.
Au contraire, vous allez vous plonger dans un monde où Vald n’était pas encore tout à fait celui que l’on connaît : plus brouillon certes, mais surtout plus fou, plus grotesque, plus excentrique. Les instrumentales, mais aussi les paroles et le ton de Vald vont dans ce sens, montrant bien qu’il était un autre personnage, qu’il a tout de même un peu conservé aujourd’hui. Un bon moyen donc, de découvrir ce qui a fondé le Vald que nous connaissons tous actuellement, mais aussi de voir d’un oeil nouveau sa musique actuelle.
