Après plus de dix années de carrière, Gims s’est imposé comme un faiseur de hit et s’est ouvert au grand public, au risque de perdre ses fans de la première heure qui l’écoutaient pour sa manière de kicker. Sa facilité à débiter des mots très rapidement et l’utilisation répétée de multisyllabiques ont fini par le définir. De nos jours, tout le monde connaît le rappeur provenant du 75, grands-parents comme petits-enfants et c’était sûrement son objectif. Après 5 millions d’albums vendus dans sa carrière, Gims s’est lancé le défi de proposer un album 100 % rap et l’a longuement teasé. Le résultat en est pourtant bien loin. Explications.
Le 4 décembre, Le Fléau, référence au surnom de Gims à l’époque de la Sexion d’Assaut, est rendu disponible avec deux semaines de retard suite au second confinement. Une certaine hype s’était créée autour de ce projet, car bon nombre d’auditeurs et de fans de rap étaient curieux de voir Gims revenir à son premier amour. Malheureusement, l’album a fuité et le projet est progressivement tombé aux oubliettes, au profit des autres sorties, Stamina de Dinos notamment. Plus de trois semaines après son leak, Gims a donc livré ce fameux fléau et le résultat n’est pas vraiment surprenant.

Un trop grand attachement à la pop urbaine ?
Après une multitude d’écoutes, le résultat est toujours le même : Le Fléau est un album imparfait et inefficace. Premièrement, Gims n’était finalement pas prêt à lâcher la pop urbaine, qu’il a appris à gérer à la perfection au fil des années et surtout qui l’a fait atteindre les premières places du classement. L’album 100% rap s’est transformé en 85% lorsque les hits Jusqu’ici tout va bien écrit pour être le générique de la série TF1 Ici tout commence, et Yolo ont été intégrés au projet. Ces deux derniers sont de la pop à l’état pur. Gims a été maladroit dans sa manière de vendre son nouvel album. C’est un album majoritairement rap, mais qui reprend les codes du rap actuel et non celui de l’époque où il s’exerçait sur des freestyles avec la Sexion d’Assaut. Car oui, les auditeurs s’attendaient à retrouver l’essence même du rap dit “à l’ancienne”, à savoir du kickage et une instrumentale Boom Bap. Ayant probablement lu de nombreuses critiques, Gims a aussitôt réagi en publiant une vidéo sur son compte Instagram où il déclare :
“J’ai vendu 40 000 disques en première semaine avec une fuite. Il y avait trop de Gims ceci, Gims cela; mais pourtant sur les 17 titres de l’album, il y en a 15 rap et seulement 2 pop variété. L’album est rap ne m’adressez plus la parole, fermez-la !”.
Ce qui dérange, c’est la promotion faite autour de ce projet. On a un emballage rap mais pas le contenu. Il existe une réelle différence entre l’image véhiculée et le fond. Gims joue sur l’attente des fans pour le vendre commercialement et également pour le vendre comme un album rap. On a l’impression de se faire arnaquer après avoir écouté l’album et c’est plutôt dérangeant d’avoir un tel ressenti pour de la musique. Gims a également vendu Le Fléau comme son grand retour dans le rap pour tabasser toute la nouvelle génération. Le côté combatif et concurrentiel peut s’avérer assez intéressant mais le résultat n’est pas au rendez-vous. C’est une nouvelle fois une décision maladroite de sa part car il ne semble pas à la hauteur de telles affirmations.
Durant l’intégralité du projet, Gims joue avec sa nouvelle vision du rap. C’est-à-dire un genre qui s’est grandement diversifié, au point de devenir la variété de nos jours. Gims jongle sans cesse sur une ambiguïté musicale en alternant des couplets bruts qui manquent de vivacité, des punchlines saillantes et des refrains chantés.
L’album est maquillé par les collaborations. En effet, les featurings sont une manière de cacher la partie non visible de l’iceberg. Ces derniers ont pourtant fière allure sur le papier (Leto, Bosh, Gazo, Heuss l’Enfoiré, Kaaris, Vald, Jaekers). Ils n’apportent pour la plupart aucune plus-value sur l’ensemble des dix-sept titres. L’objectif d’une collaboration entre deux ou plusieurs artistes est avant tout de partager les univers musicaux, un moment de partage illustré par une finalité unique qu’est un morceau de musique. Ici, on ne ressent aucune fibre artistique entre les artistes à une exception près (Gazo). On a l’impression que ces featurings se réalisent seulement car Gims voulait montrer au public qu’il pouvait encore rivaliser avec les têtes d’affiches ou les révélations rap de ces dernières années. Gims se sert des images de ses invités pour en tirer un parti commercial. La signification des collaborations est alors remise en question.

Gims s’en sort malgré tout plutôt bien car il arrive à tenir tête à la nouvelle génération du rap français, mais c’est tout. Le morceau avec le membre du groupe PSO Thug, Leto, ne sort pas du lot avec une proposition musicale qui se rapproche de ses derniers featurings. On pense notamment à ceux avec Timal, Guizmo ou encore le duo Key Largo. En effet, Leto découpe l’instrumental comme souvent avec des thèmes récurrents, à savoir l’argent et la haine. Vous l’aurez compris, le duo ne restera pas dans les annales.
La collaboration avec Vald est l’exemple parfait de l’occasion ratée par l’ancien membre de la Sexion d’Assaut. En invitant Vald, Gims avait la possibilité de se mesurer à l’une des têtes d’affiches du rap français et surtout à l’une des meilleures plumes du milieu. Le résultat est très loin de ce qu’on aurait pu espérer. Le couplet de Gims est proche du néant avec aucune punchline qui reste en tête. Quant à celui du V, on reste globalement sur notre faim car son couplet est bien trop court. De plus, Jetez pas l’œil est une pâle copie du hit américain de Travis Scott et Drake, Sicko mode.
La collaboration avec Kaaris est la continuité de notre propos. Le dozo vient faire ce qu’il sait faire avec le titre Grosse Bleta et Gims propose un refrain chanté, idéalement créé pour les boîtes de nuit qui malheureusement (ou pas), ne pourront pas jouer le morceau d’ici peu. C’est d’ailleurs pour la même raison que l’ennemi numéro 1 de Booba ne progresse plus depuis quelques années et semble sur la pente descendante. On retiendra malgré tout le pique lancé par le natif d’Abidjan à Stavo, membre du groupe sevranais 13 block, en détournant la célèbre formule « Merci Stavo pour les travaux », qui devient « Remerciez-moi pour tous les travaux”.
Enfin, la collaboration avec Jaekers, récemment apparu dans la réédition Miel Book de Dadju. Le featuring est à mi-chemin entre rap, chanson variété et r’n’b. Dans ma tête est même une reprise du célèbre hit de Justin Timberlake Cry Me A River. Si le titre est plutôt bon, on s’éloigne une fois de plus du postulat « album de rap à 100% » que Gims lui-même avait promis.
Des longueurs trop importantes et une identité à trouver
Ces dernières années de nombreux artistes se sont essayés au jeu du double album (Nekfeu avec Les étoiles Vagabondes notamment). Ce fut le cas de Gims avec Mon Coeur avait raison, qui s’est avéré être un choix payant avec un double disque de diamant à la clé. À l’époque, il avait proposé deux types de pilules pour scinder son album en deux et donc proposer un véritable univers à ses auditeurs. La première était composée de morceaux chantés et la deuxième de morceaux rap. Globalement, proposer un double album est un choix risqué, au vu de la faculté des auditeurs à vite se lasser des artistes, poussant à la surconsommation actuelle. Cette fois, Gims propose, avec Le Fléau, 17 morceaux. Cette décision aurait pu être payante s’il y avait eu un enchaînement efficace des pistes audio mais ce n’est pas vraiment le cas. Après plusieurs écoutes c’est d’autant plus flagrant.

L’album est lourd et construit sans logique. En effet, on passe d’un son trap avec Bosh à Origami et Yolo, des sons plus chantés, pour revenir à la drill avec Gazo. L’auditeur n’est pas aidé et peut se perdre facilement dans ce projet inégalement réparti. L’impression générale qui ressort de manière incontestable c’est que Gims semble à bout de souffle et en total manque d’inspiration durant les dix-sept morceaux qui composent l’album mais ce n’est pas tout. Le Fléau semble en difficulté dans sa quête pour trouver son identité. Sur les dix-sept tracks du projet, il y a seulement 9 morceaux en solo (dont les titres pop Yolo et Jusqu’ici tout va bien) de Gims. C’est bien trop peu pour créer une uniformité et un univers.
À plusieurs reprises, Gims illustre son essoufflement artistique par des lyrics assez pauvres. On peut notamment citer ces punchlines:
“C’qui sort du four, c’est pas du pain ; j’prends la vie comme elle vient / Ça s’en va et ça revient ; raisonne comme un Colombien”
Dans Sicario
» Putain d’merde, les mecs, c’est quoi ce monde ? Tout part en fumée comme Pop Smoke «
Dans Oro Jackson
Gims s’était fait remarquer dans le passé par sa faculté à être sûr de lui et insolent à travers ses textes. Chose qu’il n’a pas réussi à faire avec Le Fléau car c’est même l’opposé qui se réalise. À trop vouloir déclarer sa place de numéro 1, Gims tourne ses propos au ridicule :
“Trop d’enfants dans c’game, obligé de donner la fessée”
“Stade de France (Stade de France) : déjà fait (déjà fait)”
“Je sors la mixtape, j’mets fin à la fête”
On ressent malgré tout une volonté d’exposer sa technique et son talent, au risque de proposer des punchlines n’ayant plus aucun sens:
“L’intérim, c’est du ping-pong, ça paye pas, Jeff Bezos, PIB des Pays-Bas”
Dans Immortel
Quelques éclaircies dans la brume du Fléau
Malgré tout, il existe tout de même des morceaux honorables. On pense notamment au featuring avec Gazo ou encore l’outro du projet Thomas Shelby. Pour le premier, Gims voulait ramener l’un des artistes phares de la Drill française. C’est donc l’occasion d’apercevoir le membre de la Sexion d’Assaut à l’œuvre sur une instrumental drill et le résultat est positif car il avait le devoir de prouver qu’il était encore en capacité de se mesurer à la nouvelle génération sur une branche du rap qu’il n’avait jamais utilisé auparavant. Avec son refrain et son couplet, Gims coche toutes les cases de la Drill en employant un vocabulaire adéquat (Vengeance, Business, référence à Pop Smoke ou encore les mouv’s). Connu pour être à l’aise sur de la Trap, Gims avait tout pour réussir sur une instrumental Drill. Cependant, on aurait aimé avoir un Gims davantage insolent sur son couplet, comme il l’avait si bien fait sur Loup-garou avec Fianso.
Enfin, l’outro Thomas Shelby est véritablement le meilleur morceau du projet par l’univers et l’aisance qu’il dégage. Sur une instrumental de Boumidjal X qui est également présent sur neuf compositions du projet, Gims réalise une performance de qualité qu’on aurait aimé avoir durant l’intégralité de l’opus. Dans cet autoportrait, Gims se désigne comme chef de meute et se compare à Thomas Shelby, personnage principal de la série Peaky Blinders. Cette fois-ci, son arrogance est utilisée à bon escient. On sent qu’il a essayé de prouver et de justifier sa place de numéro un avec un couplet unique comme il aime tant le dire.
“Lundi matin, j’fais les gros titres, ils souhaitent de tout cœur que j’me retire. Adolf est sûrement en train de rôtir, on rentre mais on r’sort pas d’chez les Rothschild”
À travers Le Fléau, on a l’impression que Gims n’est plus ce qu’il était, à savoir un véritable animal, qui brille par ses lyrics enflammés. Aujourd’hui, la réalité est bien différente. Il semble cette fois-ci réellement à 30 % de ses capacités. Alors que la Sexion d’Assaut a annoncé son grand retour après 9 années de pause avec une tournée pour 2021 et probablement un nouvel album, Gims aura peut-être une deuxième chance de prouver que sa relation avec le rap peut retrouver sa complicité d’antan, même s’il sera davantage attendu pour ses refrains chantés. Les chiffres de vente et de streams du Fléau seront vraisemblablement un bon moyen de vérifier si son public ressent de la même façon ce qu’on peut considérer comme une baisse d’inspiration et une fin de carrière dans le rap…
Allez vous faire enculer vous critiquez son album et vous dites qu’il est en manque d’inspiration vous pouvez faire mieux espèce d’imbeciles Gims reste le premier non mais on avait mal baisé vos mères ou quoi