[Top] 1er semestre 2023 : les meilleurs projets rap français

En 2023, le rap français est toujours aussi prolifique, pour notre plus grand plaisir. Au vu de la période mouvementée, la rédac’ fait le bilan des meilleurs projets à mi-parcours…

Juin 2023, même lors de l’apéro, bière à la main, on ne peut s’empêcher de ressentir le malaise ambiant, les conversations dévient invariablement sur des sujets qu’on connait déjà par coeur… Les prix grimpent aussi vite que le mercure, la pollution nous étouffe, le gouvernement se fout de nous et tout le monde n’attends que les vacances pour pouvoir enfin respirer.

Heureusement, il y le rap ! 

Toujours aussi créatifs, innovants et percutants, les rappeurs.euses nous ont régalés et il fallait qu’on discute de tout ça. Loin d’être objective ou exhaustive, cette sélection des projets qui nous ont marqués depuis janvier a été débattue et concoctée avec tout le soin de l’équipe complète de la rédac’. 

Pour compléter ce top, un focus sur nos projets coups de coeur sera disponible dans quelques jours sur nos réseaux sociaux… Ne passez pas à coté !

Mentions honorables : Ils n’étaient pas loin du top 10 et il nous parait important de les mentionner malgré tout. Nous avons aussi beaucoup aimé GIBRALTAR de Triplego, Tracy 168 de Sameer Ahmad, Ozoror de Meryl & Papillon Monarque de Tuerie.

10) Mairo – omar chappier

Arrogant et foudroyant depuis ses débuts, Mairo a atteint un sommet dans sa jeune carrière avec omar chappier. Un huit titres nerveux où seul un morceau dépasse les trois minutes et dans lequel le Genevois expose en long en large et en travers son égo dimensionné à la mesure de son talent. Quelques piques, quelques lignes politiques ou pop, maintes références à ses – plus ou moins – illustres prédécesseurs et quatre invités (Implaccable, H JeuneCrack, Wallace Cleaver et NeS) se retrouvent mêlées à l’artiste au fil des tracks. Au nombre de quatre, les productions versatiles de son jumeau Hopital sont majoritaires et tissent une homogénéité dans le projet.  Fin rimeur et s’affirmant déjà légende, Mairo est au rap ce qu’un autre artiste du ballon rond issu d’un « petit » pays de sa discipline était.

Focus track : nouvelle écriture. Ärsenik et Gims, égotrip et lignes coups de poings s’allient à la production de 5Bobble et au visuel de Metanoia pour un court chef d’œuvre d’une minute cinquante. A quelques secondes de rester sur sa faim.

Mairo - nouvelle écriture

9- Kekra – Stratos

Il montre rarement son visage, et on le connaît pour ses cagoules aux design divers. Deux ans après son dernier album (réédité en 2 fois), Kekra a sorti cette année son cinquième projet Stratos. Avec plus de 600 000 auditeurs sur Spotify et une performance appréciée à l’Olympia en janvier, le rappeur ne cesse de grimper. Stratos l’a encore davantage révélé.

Pour ce projet, l’artiste a conservé sa voix avec un effet particulier et des variations d’intonations avec des mélodies qui rendent son style unique et excentrique. Il a également misé sur des feats avec des  rappeurs qui se rapprochent de son style tels qu’Hamza sur LakehouseAlpha Wann et La Fève sur Ingé Son, et Zamdane sur J’arrête. La connexion est présente ! Les instrumentales sont très rythmées, allant des beats digital (Glock 18 ou Stratos) aux beats entraînants et festifs (NuagesDinguerie) mais aussi se rapprochant de la drill (Iverson). Nous avons vraiment l’impression de rentrer dans quelque chose de différent, dans une dimension parallèle de la stratosphère, comme dans les trois clips de l’album (IversonNuit et jour et Ingé Son).

Les paroles sont plutôt détendues, on ne repère pas forcément de ligne directrice sur le projet. Mais les thèmes qui reviennent sont l’accès au succès et la réussite, l’argent, quelque fois la mort. A côté de l’aspect rythmé, des sons sont plus introspectifs (Combien de tempsTortsMal parti…). C’est dans l’outro, Bloc de glace, que Kekra se livre un peu plus en coupant les beats et en replongeant dans quelque chose de calme : « Sourire plus que joyeux, pourtant vécu d’âme triste ».

Focus track : L’été arrive, ça tombe bien, le son Vibe & Sun nous fait voyager. L’atmosphère est détendue, les voix aigues placées entre les refrains sont agréables à l’oreille.

8) Ben PLG – J’rêve mieux qu’avant

Après avoir bien occupé le terrain l’an passé avec les trois volumes de Réalité Rap Musique, Ben PLG s’est fait un peu plus discret dans ces premiers mois de 2023. Conscient de la stature qui est la sienne depuis le printemps dernier et son passage dans Nouvelle Ecole, le natif de Roubaix a tout de même gratifié ses auditeurs d’une sortie intéressante le 24 mars, le six titres J’rêve mieux qu’avant.

Avec trois feats de belle facture au menu (Sto, Limsa d’Aulnay et Lujipeka), Ben PLG met en évidence la place qui est désormais la sienne dans le grand bal des collaborations rap. Sur ces titres comme sur les autres, on croise les souvenirs d’enfance, la quête de gloire et la description d’une vie qui « augmente », fils rouges de la discographie du lillois. Force est de constater – peut-être la courte durée de l’opus y est-elle pour quelque chose – que J’rêve mieux qu’avant est sans doute le projet le plus homogène, sur les plans sonore et thématique, dans la carrière de Ben PLG. Composé en grande partie par les inévitables Lucci et Murer, cet EP reflète, quelque part entre le jus de bagarre et les morceaux feel good, une direction artistique savamment construite.

Focus track : Trucs sentimentaux, collaboration de haute voltige entre Ben et Limsa d’Aulnay, se détache assez nettement dans l’EP. Sur un piano glacial, les deux artistes échangent les fulgurances, avant de faire retomber la tension dans un ultime couplet partagé.

BEN plg feat. Limsa d'Aulnay - Trucs sentimentaux (Visualizer)

7) PLK – 2069′

PLK est un rappeur français qui compte. Dans tous les sens du terme. Plus de 25 000 heures après Enna (sorti en août 2020), le rappeur d’origine polonaise nous livre un EP réalisé en live d’une traite pendant 34 heures, soit 2069 minutes: le titre éponyme du projet. Enième retour, pour un EP PLKesque ?
Certes, PLK semblerait avoir trouvé sa formule, d’autant plus que le douteux (et coûteux) appel aux fans pour produire cet EP à travers un label virtuel ne laisse que peu de place à l’innovation.

Mais cette technique de production collective apporte aussi quelque chose de neuf à un poids lourd du rap français. En nous ouvrant les portes de sa cuisine, en abattant certaines cloisons, PLK donne à voir ses pratiques, ses failles, son humanité parfois cachée par l’armure froide de rappeur. Un style musical efficace et trouvé, une sincérité lyricale nouvelle, une organisation neuve du travail, …
De la nouveauté dans un schéma que l’on connaît : tout porterait-il à croire qu’on assiste à une sorte de tournant dans la carrière à succès de notre PLK ? 

Focus track : Panama Bende, où PLK nous raconte sa vocation artistique à travers l’histoire de son collectif. En fin de morceau, l’accumulation litanique des noms qui ont pesé dans la vie artistique de PLK, magnifiée par une mélodieuse boucle de cordes, fera lâcher une larme aux nostalgiques des 2000’s et des collectifs de rappeurs. 

6) Georgio – Années Sauvages


Georgio nous a délivré son nouvel album Années Sauvages au début de l’année 2023. Tout est dans le titre du projet, le rappeur ayant eu tout juste 30 ans, nous expose la transition difficile entre l’adolescence et l’âge adulte. Depuis la sortie de son album Héra en 2016, la palette musicale de Georgio est partagée entre le rap et le chant. Rappeur avec des textes forts, il n’a cessé de progresser artistiquement. Son cinquième album prend la forme d’un véritable récit mélancolique, remplit d’espoir, semblant être, au final, son exutoire :

« Sentiments de toutes les couleurs toutes les nuits, j’suis dans mes souvenirs
j’rentrais sous la pluie, sur mon scooter J’me suis construit dans la douleur »

Or Acrylique – Georgio

Pour explorer les différentes étapes de sa vie, nous avons eu le droit à plusieurs invitations sur cet album introspectif. Sur le deuxième track, on peut retrouver le rappeur PLK, du même label (Panenka Music). Il est aussi accompagné de Josman sur le morceau Froid, ainsi que la jeune chanteuse Yoa sur diamant V2. Les trois featuring suivent parfaitement la logique de la direction artistique du projet.

Ce que l’on retient de l’album, c’est le pouvoir de Georgio à transformer le spleen en ondes positives. Il sait poser les bons mots sur ses émotions. Pour la promotion de l’album, le disque était enfermé dans un bloc de béton. Un coup marketing original, qui nous laisse penser qu’il faut briser une barrière avant de connaître la vie du rappeur parisien. Accompagné par les producteurs Lucci’ et Wladimir Pariente, Georgio nous donne du baume au cœur avec un mélange de prod recherchées et des textes remplis d’espoir. Georgio nous l’a toujours démontré avec sa musique, l’espoir meurt en dernier… !

Focus Track : 7 fois nous fait voyager à travers son univers mélancolique avec une prod enivrante. Ce titre semble être le plus représentatif de l’album, alternant entre espoir et morosité. Georgio nous expose les difficultés d’une jeunesse, surmontées grâce à sa rage de réussir dans la musique.

5) Luther – AMI

Après le très singulier EP GARÇON, Luther se savait attendu.
C’est pourquoi, en attendant un long format, le rappeur avignonnais a délivré un projet-cadeau de trois titres : inaudible avec LUCASV, uet et virage avec amne. Avec AMI, Luther confirme les belles promesses affichées dans l’opus précédent et affine son univers sombre et dantesque. Depuis sa signature sur le label Sublime (d’un certain Disiz), le jeune artiste utilise à bien toutes ses armes afin de marquer au fer rouge, son nom dans le rap français. Ce nouvel EP donne les clés de la proposition artistique de Luther. La discrétion règne, accompagnée d’une écriture percutante et dense. Le rappeur cagoulé semble plus que jamais torturé entre une vision apocalyptique du monde et de ses occupants et une paix intérieure qui lui est chère. Sur des prods aériennes et électroniques, Luther fait passer des messages et affirme ses ambitions pour la suite : il a la carrure pour devenir une icône de la new wave. 

Focus track : uet. Ce titre est probablement le plus abouti du projet. Luther confie avec une profonde sincérité les doutes qui l’habitent quotidiennement. Il évoque également ses souffrances durant l’enfance. LU se met à nu et c’est génial. 

4) Sheldon – Îlot

Une atmosphère calibrée, une production envoûtante et des paroles immersives, voilà ce que nous offre Sheldon avec son dernier projet, Ilot.
Ce membre symbolique de la 75e session, à la voix lourde et câline, nous propose une quête, celle de la quiétude. Il nous invite à entrer dans son intimité artistique à travers une construction harmonieuse qui jongle habilement entre des influences variées et son cadre familier.
La particularité marquante de ce projet réside dans le lien établi entre la recherche de quiétude et l’isolement, illustré explicitement par la couver et son ambiance réalisées par Alex Plechko & O.D Suu. Ici, la solitude est un outil permettant une introspection plus efficace, habituellement perturbée par le monde extérieur. Au fil des 16 tracks, on comprend donc pourquoi Sheldon attache une telle importance à ses îlots.

En fin de compte, Ilot est un album réconfortant qui permet à l’auditeur de s’évader d’un monde parfois pesant, offrant un véritable refuge musical.

Focus track: La-haut est propice à la rêverie et adoucit véritablement les mœurs. Dans une tendresse immense empreinte d’innocence, il clôture le projet en partageant avec nous ses dernières envies.

Sheldon - Îlot (Lyrics Video)

3) Winnterzuko – Winntermania

Futuriste, électronique, avant-gardiste, hyperpop, digicore ? Que dire de la musique de Winnterzuko ? Son originalité dans le paysage du rap français nous fait ressentir les limites du langage, à en perdre notre latin. A travers son 7e projet et 1 er album, Winntermania, le rappeur proche de la trentaine confirme sa montée en puissance et continue d’explorer son style. 

Projet déroutant et extrêmement varié, ce 12 titres réunit 11 producteurs différents et se lit à la fois comme une expérimentation musicale et personnelle. En cherchant sa voie entre le rap et la techno, Winnterzuko se trouve et s’ouvre à nous sur son passé de réfugié de guerre, sa fuite de la Pologne, l’absence de la figure paternelle, … Roi de l’hiver, Winnterzuko délaisse pourtant la couronne et l’egotrip pour parler familles et sentiments avec transparence. Mais il le fera toujours bien accompagné (Khali, So La Lune, Realo en feat), et pour nous faire danser comme des fous.

Focus track : PAPA T OU. Oui, c’est possible de faire un son club qui donne envie d’aller en boîte et qui décrit des violences conjugales à en avoir la nausée. Ce morceau cristallise parfaitement les merveilleux paradoxes du style Winnterzuko, où danse et confidences s’entremêlent. 

2) TIF – 1.6

Révélé en 2020 avec le morceau 3iniya, Tif, jeune rappeur algérien, poursuit avec Houma Sweet Houma en 2022, avant de nous avoir offert 1.6 en ce début d’année 2023, projet Digne d’Alger, des quartiers populaires
C’est en posant un flow qui lui est bien propre; entre rap et mélodies, sur des prods aux influences orientales, que Tif exprime ses émotions et les offre suavement à son public. Avec ce nouveau projet, il plante le décor de sa vie et emporte ses auditeurs dans un tourbillon de nostalgie, leur faisant découvrir les influences et sonorités qui l’ont bercé. Cette idée est d’autant plus appuyée avec l’unique feat de ce 10 titres, que Tif partage avec Flenn, artiste algérien lui aussi, et particulièrement reconnu dans le pays qui les a vu grandir. Avec 1.6, Tif nous livre un projet chargé d’émotions, et fabuleusement riche, que ce soit de d’un point de vue technique, artistique ou culturel. 

Focus track : Shadow Boxing. C’est en alternant couplets rappés et chantés, que Tif raconte Toufik, exprimant des sentiments tous plus fort que ceux qui les précèdent. Le titre parle de lui-même et habite les rimes qui le suivent : on vit alors le « cauchemar d’un exilé égoïste ».

1) Hamza – Sincèrement

Très attendu, le dernier album d’Hamza cristallisait bien des espoirs. Et pour cause, le Belge a explosé ces deux dernières années au gré de singles et de featurings remarqués après la surprise 140 BPM en 2021.
Surfant sur l’expansion de la drill en France, Hamza a relevé le défi et prouvé sa capacité à s’adapter à des styles différents et surtout à le faire bien. Du reste, la technique et le savoir faire n’ont pas toujours suffit à combler pleinement celleux à qui manquait le Saucegod aux atmosphères enfumées et sensuelles.

Avec Sincèrement, Hamza réunit tous les ingrédients de ce qui a fait son succès à ce jour, aspect qui a pu en décevoir certain.e.s et en ravir d’autres. Pour les auditeurices qui sont parvenu.e.s à se laisser porter, c’est avec confort et délice que l’on s’installe dans le projet. L’écoute à des allures de retour à la maison : il y a certes moins d’expérimentations que sur Paradise, ainsi qu’une dimension générique assumée, mais surtout la (re-) découverte d’un univers toujours riche, toujours actuel, placé sous le signe d’une mélancolie codéinée douillette.

Assurément, le flow nonchalant d’Hamza fait des dégâts, tant il déploie sa technique avec une simplicité déconcertante : pas de zèle, pas de fioritures, que du concret.
Hamza sait ce qu’il vaut et n’a plus rien à prouver.
Côté instrumental, l’album est indéniablement très bien produit. Une fois n’est pas coutume, c’est Ponko qui signe la réal de l’album. Si le R’n’B domine et la mélodie reste omniprésente, on trouve ici et des influences drill, dancehall ou encore cloud. Quatorzième track du projet, Nocif livre un remix surprenant du classique des 90s Lady  de Modjo aux cotés de Damso. Pur banger ou hérésie, les avis divergent. Ici, on dit oui.
En prime, non pas un mais trois featurings avec des artistes étrangers, dont la superstar du rap américain Offset. Et cela donne au projet des airs de promesse : après la Belgique, la France, on souhaite à Hamza de conquérir l’industrie internationale. 

God bless le Saucegod.

Focus track : Nocif, définitivement un plaisir coupable, oups.

 


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