[Focus sur] Okis, pelo talentueux

Crédit : Léonard Grospiron

En janvier dernier, le rappeur Okis dévoilait son tout premier EP, OK, l’une des bonnes surprises de ce début d’année. Un projet 8 titres parsemé de schémas de rimes qui rappellent ceux de Souffrance, sur des instrus boom-bap. Avec en toile de fond, XR, l’OL, ou encore son rapport au tamien. Rencontre avec un pelo talentueux.

Vous n’avez pas compris la moitié des mots employés dans l’introduction ci-dessus ? C’est normal : à l’image de cette intro, 50 % des termes employés dans le projet OK sont cryptiques pour un individu lambda n’habitant pas à Lyon, et nécessitent un petit tour sur le Genius d’Okis pour en capter toutes les subtilités (au passage, S/O à la personne qui a annoté ses phrases, elle nous a bien fait marrer). En revanche, les lyonnais, et plus particulièrement les habitants du quartier Croix-Rousse (ou XR en argot lyonnais), se sentiront comme des poissons dans l’eau : des noms des enseignes que l’on peut y trouver (“XR s’gentifrie, j’suis entre Gifi et Ficelle”) aux joueurs de l’Olympique Lyonnais (“Bard Cherki Rafia, 69 la masía”), on a rarement entendu un rappeur clamer autant son amour pour la cité des Gones. “Il faut souvent que je sois en train de me balader pour écrire, que ce soit à pied ou en bus. C’est sans doute pour ça que je décris autant mon environnement dans mes textes” lâche Okis au téléphone, alors qu’il roule un spliff (ou tamien, en argot lyonnais). 

Mais avant de rapper sur sa ville et sur le club dirigé par Jean-Michel Aulas, les premiers contacts rapologiques de celui qui dit avoir “23 ans et faire du rap de daron divorcé” débutent à 8 ans, un âge auquel sa soeur lui impose Dans ma bulle de Diam’s (“à force de l’écouter trop fort dans sa chambre”), et Le toit du monde de Sinik. Un morceau le marque particulièrement : Je réalise, en feat avec James Blunt. “Sans doute à cause du côté chanson. J’étais petit à l’époque… Depuis, je l’ai réécouté, et l’album, je le trouve énorme. Notamment le morceau L’Essonne’gelesse. Si j’étais un mec de l’Essonne, ça serait un hymne pour moi.” Puis, le petit Okis grandit, et au collège, comme beaucoup de jeunes de son âge, il se met à vraiment écouter du rap avec L’Entourage et 1995, puis découvre Quelques gouttes suffisent d’Arsenik, ou encore Opéra puccino d’Oxmo Puccino qui lui mettent de belles claques. Mais il n’écoute pas seulement du rap : “j’écoutais aussi des trucs psychédéliques, genre Pink Floyd. Un truc qui m’a beaucoup marqué au lycée, ce sont les Basement Tapes de Bob Dylan. Je crois que c’est un truc enregistré en 3 semaines, dans un sous-sol. Tu ressens le sous-sol. C’est le premier truc qui m’a donné envie de fumer…(Rires) J’aime bien les trucs imparfaits.” 

Le Chili, Hartigan et l’histoire du rap lyonnais

En parallèle, il se met lui aussi à écrire des textes de rap, mais plutôt sous forme de clashs, pour se marrer avec ses potes. Puis ce qui est un peu une blague au départ devient une passion à part entière, notamment lorsqu’Okis part au Chili, après avoir quitté le lycée. “J’ai eu besoin d’écrire plus sérieusement. C’était un truc sincère, où je disais que Lyon et mes potes me manquaient. C’est le manque de Lyon qui m’a fait écrire.” Là-bas, il se met à écouter uniquement du rap, notamment A la chaine du groupe L’uzine (“je rêve de faire un album comme ça”), ou encore Le purgatoire d’Hartigan. “Je l’ai écouté à un des moments les plus difficiles de ma vie. Et ça a changé ma façon de voir le rap. C’est hyper dépressif, mais on sent qu’il a écrit ça pour se libérer de ses démons”. Là-bas, il écoute également des rappeurs chiliens, crée quelques connexions, et rappe lui aussi, sans complexe, ce qu’il a du mal à faire devant ses potes en France. “Vu qu’ils comprenaient pas ce que je disais, j’avais pas l’impression de me confier. Ici, c’est un truc qui m’a grave freiné je pense. “Je rappe comme un suicidaire, mais parfois je suis heureux” comme je dis dans un texte qui n’est pas encore sorti. Pour moi, le rap a un côté libérateur. Pour aller mieux, tu mets tes doutes et tes galères sur papier. Et après, t’es tout tranquille”.

De retour en France, il s’exile à Rennes pour les études jusqu’en 2020, avant de revenir dans sa contrée natale, Lyon. Il y redécouvre le rap lyonnais, notamment grâce à un dossier qu’il écrit sur l’histoire du rap lyonnais, lui qui a eu une courte carrière de journaliste. Est-ce que c’est cela qui lui a donné envie de faire partie de la scène lyonnaise ? Toujours est-il que malgré sa peur de se confronter au regard de ses congénères, ses potes et sa famille se cotisent pour lui acheter un micro, et lui, commence à enregistrer des maquettes sur des type-beat, qui deviendront petit à petit des morceaux. Résultat ? Il fait 8 titres qu’il met sur un projet qu’il nomme Ok, et le met en ligne sur les plateformes de streaming, “parce que ma soeur voulait l’écouter sur Spotify”. Il peut remercier sa soeur : depuis, il a eu droit à un petit buzz sur les réseaux sociaux, bien aidé par Said de L’arbre, auteur du podcast Quidam (et membre de l’Epicerie Gang, collectif sur lequel on a déjà écrit un article que vous pouvez lire en cliquant ici) et Sandra Gomes, photographe, tous deux lyonnais, amateurs de rap et fans du travail d’Okis. “Il y a des inconnus qui m’ont écrit pour me dire qu’ils kiffaient mon EP… moi-même j’ai jamais pensé à faire ça ! Vu le bien que ça fait à l’artiste, faudrait peut-être que je commence à m’y mettre…”

XR, l’OL, le tamien et les tacos

Le principal sujet de ce premier projet ? Lyon évidemment, et tout particulièrement Croix-Rousse, quartier cher au coeur d’Okis, qui, à son grand dam, se gentrifie de plus en plus. “C’est frustrant et cruel, parce que les gens n’ont plus les moyens d’habiter ici. On est passé d’un quartier populaire à un quartier bobo”. L’illustration parfaite de cette transformation ? La récupération d’un squat par Vinci, qu’il cite dans le morceau Tutu. “Là, je fais référence à un squat dont les migrants ont été expulsés par Vinci. De toute façon, je suis marxiste, donc tous ces trucs-là…” Au passage, Okis met aussi quelques tacles à l’extrême-droite, de plus en plus présente à Lyon (“y’a des nazillons dans l’air”, “nique les zeubs qui fournissent le Z”). “Quand je passe à Lyon 5, qui est la colline catho, le repaire des fafs, je suis mal à l’aise. Mais les fafs, y’en a depuis les années 90, c’est pas récent. Et c’est un peu gonflé : tout le monde n’est pas raciste à Lyon…”

Autre grand sujet de prédilection d’Okis : l’Olympique Lyonnais. De Tousart à Mariano Diaz, en passant par Amine Gouiri, les références aux joueurs de l’OL se comptent par dizaines. Fan du club depuis leur avant-dernier titre de champion, en 2007, à 13/14 ans, il allait s’incruster chez les Bad Gones. Et cette année, il s’est même abonné. Pas de chance : l’OL, à l’heure d’écrire ces lignes, est actuellement dixième du championnat, et fait l’une des pires saisons de son histoire. “Le départ de Juninho nous a fait très mal. J’ai peur qu’on devienne un centre commercial. D’ailleurs, les Bad Gones l’ont dit dans une de leurs banderoles… Mais j’ai quand même encore de l’espoir pour cette saison. On a de bons joueurs, le retour de Ndombélé m’a fait plaisir. En espérant qu’ils accrochent la Ligue des Champions…”

« Le prochain projet sera moins autocentré sur Lyon »

Parmi les autres sujets abordés par Okis, on peut également parler de sa consommation d’herbe, avec laquelle il fait “un mauvais duo comme Rolland-Mercadal”, le rap lyonnais (“Les gens croient que j’ai 30 ans parce que je fais des réf’ à des rappeurs old school de Lyon (rires). Alors qu’en réalité, j’écoute aussi beaucoup la nouvelle génération comme Tedax Max et Laws Babyface), ou encore les tacos. “Lorsque j’étais journaliste, j’ai fait une enquête sur les tacos dont je suis extrêmement fier. J’ai établi formellement que le tacos est lyonnais. Alors que les grenoblois, qui disent l’avoir inventé, ont juste enlevé la chakchouka. C’est une version industrielle du tacos. Bravo les linkediniens comme dirait Saïd de l’arbre. Mais on l’a inventé à Vaulx-en-Velin (rires).”

La suite pour Okis ? Alors qu’un clip pourrait bientôt sortir, et qu’il s’apprête à faire sa première scène au moment d’écrire ces lignes (“là je fais des répèt’, je regarde encore mes pieds… Je pense pas être une bête de scène tout de suite ! Mais c’est bon, c’est une petite salle de mon quartier, ça va le faire”), il prépare le prochain projet, pour lequel il va prendre son temps. Un nouvel EP sur lequel il compte bosser avec des beatmaker cette fois-ci (“je reçois des putains de prods”), et qui, de l’aveu du rappeur, sera peut-être un peu moins autocentré sur Lyon”. Nécessaire pour ne pas “floper comme Tafer” ? Sans doute…

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