[Chronique] Myth Syzer, POISON

Myth Syzer c’est un peu notre gendre idéal à tous, auditeurs et chroniqueurs de rap. Gentil, humble et talentueux, il a tout pour plaire.

Par son travail passé avec Ateyaba (Cross), Hamza (High, Pas de remords, Sans toi…), ou encore 13 Block (Fuck le 17), il a su séduire les fans assidus d’avant-garde. Il captive aussi les amateurs de cette nouvelle pop française, celle où les basses du hip-hop viennent s’entrechoquer avec les mélodies douces et langoureuses – voir à ce propos : Muddy Monk, Aloïse Sauvage, Emma Peters sur Lové, Bonnie Banane.

Neefa disait fort justement dans une chronique de Bisous (2018) que cet album, c’était « le son d’après ». Et par cela il faut entendre qu’en effet, Myth Syzer a ouvert la porte, avec d’autres, à une fusion plus profonde du rap et de la pop. Et cela avec des morceaux comme Le code (feat fantastique entre Myth Syzer, Ichon, Bonnie Banane et Muddy Monk), Austin Power (avec Lolo Zouaï) ou encore La Piscine (avec Doc Gynéco et Clara Cappagli, excusez du peu).

POISON est la continuation explicite de ce travail. Conséquence directe de cette direction artistique, on ne retrouve sur l’album presque plus de rappeurs. Seuls Ichon, Realo et Loveni viennent de ce monde. Adieu donc, la suite de Bisous mortel et son florilège de MC techniques. Nous ne sommes plus en présence du Myth Syzer qui mit le feu à la France avec Fuck le 17 ou Périscope (oui, c’est lui !). N’existe plus, ici, qu’un seul Myth Syzer  : celui des cœurs brisés.

Myth Syzer (ft. Arthur Teboul) - Distance (Audio)

Manuel pour cœur brisés

Parce que POISON, c’est d’abord ça : un album pour oublier son ex. ça se voit dès le début, avec le sublime Tout s’arrête : « Eh, balle dans la tête, c’est dead baby / J’meurs pour toi comme PnB ». Et la suite de l’album atteste de cette idée. Tous les morceaux où presque évoquent la rupture, avec ses fluctuations sentimentales bien connues. POISON fluctue, entre l’envie de revoir et d’oublier l’être aimé d’une part, et le plaisir et la tristesse d’autre part. C’est La violence et le sacré, pour plagier un titre de René Girard.

Pour écrire ce manuel de la rupture amoureuse, Myth Syzer s’est très bien entouré. Notons le travail très réussi sur le morceau avec Muddy Monk, Epouse foudre – quelle poésie que cet intitulé ! -, ainsi que sur celui avec le chanteur de Feu ! Chatterton, Distance. Là où ce disque vise particulièrement juste, c’est dans ces juxtapositions d’artistes, où les habiles toplines du musicien yonnais rencontrent les mots et les phrasés si poétiques des deux chanteurs susnommés.

Autre collaboration qui marque le disque, la prod de Kaytranada offerte pour Sunday love forever. Là, Myth Syzer retrouve son côté DJ, homme de scène. Si c’est un morceau amoureux, il est produit à près de 120 bpm (115 pour être précis), comme s’il sortait tout droit d’une boîte de nuit à la playlist libidineuse. Si le texte ne brille pas par sa complexité, reste qu’il est particulièrement efficace.

Là où ce disque est remarquable, c’est par son nombre de morceaux qui sonnent particulièrement bien, du fait des talents de Myth Syzer pour la production. Les sonorités sont rondes lorsqu’il le faut qu’elles le soient, éthérées lorsque cela a du sens, mélancoliques lorsque c’est justifié. Cela ne signifie pas pour autant qu’un petit travail de réduction n’aurait pas été possible. Il y a des morceaux oubliables, et d’autres qui ont simplement moins leur place dans ce projet.

Typiquement, le morceau avec Ichon offre une contradiction intéressante. Peut-être parce qu’ils ont travaillé ensemble pendant des années, mais le résultat final fait très « classique », « usé », ressemblant justement à leurs précédentes collaborations, en particulier de l’époque Bon Gamin. Alors que Myth Syzer a indéniablement innové sur certains morceaux, celui-ci fait trop convenu, en plus d’avoir un refrain illogique au possible. «j’me dépêche mais j’me presse quand j’veux »… Non du coup : si tu te dépêches, c’est que tu es déjà pressé, Ichon. C’est plus subjectif, mais le morceau avec Realo a aussi une production très désagréable, qui rend le tout assez difficile à écouter régulièrement – pour nous en tout cas.

Myth Syzer - Sunday Love Fever (prod. Kaytranada) (Audio)

Une écriture en deçà de la production

En vérité, si cet album devait souffrir d’un véritable défaut, ce serait l’écriture de Myth Syzer. S’il reconnait lui-même ses lacunes dans ce domaine en interview, il est indéniable que le résultat est parfois bien en deçà de ses qualités en tant que producteur. Le principal souci réside dans la banalité des propos  (« L’amour c’est beau mais ça fait peur / J’espère au moins te rassurer », Vœux ) comme dans le choix parfois étonnant des images ( « Dans l’caniveau, y’a pas qu’des clopes / Y’a qu’des vieux rats qui veulent t’serrer », Vœux). Pas sûr que cela soit le pinacle de l’évocation amoureuse en musique. On aime bien, en revanche, cette image et son énonciation un peu irrévérencieuse : « Vas-y brise moi l’cœur / C’est l’moment d’test mon pacemaker ».


Il y a aussi des moments touchants, parce qu’imprimés d’une écriture naturaliste et simple : « Depuis qu’j’sors des albums, j’fais des envieux / J’préférais l’époque d’MW2 (Tactical nuke in coming) ». C’est le cas lorsque le producteur parle de sa famille, de ses rêves ou de sa propre vie.

J’avais promis à mon père
Lui offrir une nouvelle caisse
J’avais promis à ma mère
Lui offrir mon sourire
J’espère qu’vous êtes fiers de moi
Excusez-moi si j’vous ai déçu
Si j’suis tout seul ce soir
J’ai moins l’moral depuis qu’on s’voit plus

Rodéo.

En revanche, ce disque permet de réactualiser une question presque inhérente aux paroles de la pop : à partir de quand passe-t-on du propos beau car supposément « universel » aux images creuses et vides de sens ? La réponse est loin d’être évidente. Qui plus est, certaines paroles en apparence banales sont habilement mises en valeur par les compositions, comme dans l’introduction que l’on évoquait plus haut.

La vérité, c’est que la marge d’amélioration dans les textes laisse entrevoir un POISON 2 toujours aussi juste musicalement, mais avec des textes encore plus vibrants. En clair, Epouse foudre, Distance, Nirvana et Tout s’arrête sur tout un album. Et là, il y a de quoi rêver.

Ce que l’on doit à Myth Syzer

Ce qu’on peut dire de ce disque, c’est qu’il marque un retour réussi et sincère de celui qui a longtemps été l’un des producteurs les plus talentueux de l’hexagone. Ce n’est exagéré de dire que l’on doit déjà beaucoup à Myth Syzer, pour Le code, Fuck le 17, Périscope, le crew Bon Gamin et tous les artistes qu’il a mis en avant sur ses albums. On doit à Myth Syzer d’avoir ouvert grand les portes d’une fusion entre le hip-hop et la chanson française, et qu’on embrasse ici pleinement. Merci pour cela.

Surtout, on peut dire merci au producteur pour les textes et les mélodies, déposés sur disque comme autant de remèdes aux ruptures amoureuses. Si Myth Syzer a une formation de mécanicien, ce sont pourtant bien des cœurs qu’il s’est mis à réparer. Alors que s’achève l’écriture de ces lignes à l’écoute du doux refrain de Distance (« faudrait mettre des distances entre toi et moi (entre toi et moi, entre toi et moi), pourquoi t’as l’air hésitante quand tu parles de moi ?»), on ne peut que penser que ce disque fait du bien.

Ah si, un dernier conseil pour toi Myth Syzer, si tu nous lis : fais attention aux dossiers que tu envoies en avance aux journalistes. Notamment, évite d’envoyer des morceaux qui ne seront pas dans l’album final. Cela évitera que Mehdi Maïzi te parle de Smoke (« la fin de l’album ») et de ses paroles, alors qu’il n’est même pas dessus. Même si c’est toujours moins gênant que le fait que les Inrocks en fassent carrément « l’un des sommets du disque » dans leur chronique… Même si, nous aussi, on adore ce morceau. Mais la vraie fin de l’album, avec les deux supers morceaux que sont Nirvana et Birthday. Et c’est déjà bien suffisant.

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