C’est l’été ! On va avoir chaud, on a déjà plus un rond, même si nous ne sommes qu’au début du mois, et le monde continue de tourner à l’envers. Heureusement, le rap est toujours là, et nous aussi ! Alors sans plus attendre, découvrez les 10 projets sortis début 2022 qui nous ont marqués et inspirés…
Loin d’être objectif ou exhaustif, cette sélection de la crème du rap FR de ces derniers mois ont fait l’objet de débats âpres et nourris au sein de la rédac. Certains projets de cette liste ont déjà fait l’objet de chroniques plus ou moins poussées, publiées au cours de l’année et facile à retrouver sur le site…
De plus, ne pouvant nous résoudre à laisser de côté certains projets, une sélection de coups de cœur complétera, dans un prochain article, ce bilan.
10. Rounhaa – Möbius
Enthousiasmante, la musique de Rounhaa l’a toujours été. Pourtant, avec Möbius le jeune artiste suisse arrive à porter encore plus haut sa proposition rap en parfaite symbiose avec sa tristesse. Douze titres pour autant de variations autour du sentiment amoureux composent le projet et plongent l’auditeur.ice dans des songes d’une brumeuse tristesse souvent, d’une éclatante colère parfois. Möbius, paru à la fin du printemps, syncrétise les tortueuses expériences de la première vague Soundcloud française avec celles, plus récentes, de la new wave. Pour autant, il serait injuste de réduire ce projet à ces influences-là. Par la qualité du travail sur les voix ou par la variété des placements et des mélodies (très pop par endroit), cet album est une œuvre fine, précise et aboutie. Sans aucun doute la pièce centrale du puzzle rap que compose depuis quelques années Rouhnaa.
Focus track : Music sounds better with you. Produit par Abel31, ce track virtuose à tous niveaux, magnifié par clip entre apocalypse et cyberpunk de l’éblouissant Exit Void, symbolise à lui seul toute la proposition artistique de Rouhnaa sur Möbius.
10. Limsa d’Aulnay – Logique, PT. 3
« Si tu m’enlèves le rap, qu’est-c’tu veux qu’j’bricole ? », telle est l’ouverture du dernier opus de la trilogie Logique du rappeur Limsa d’Aulnay. Fidèle à son rap, Limsa démontre encore une fois qu’il est un artiste talentueux et unique en son genre dans le rap francophone. Sur ce nouvel album, il a développé son goût pour les refrains chantés, mais ne délaisse pas ses fulgurances de rimes qui font sa force. Il alterne des morceaux intimistes et introspectifs tels que Paradis Vibe ou Faux départ, avec des morceaux portés sur le second degré comme Footballeur, où il imagine avoir une vie de footballeur en y mêlant son expérience. Certains peuvent regretter la courte durée de cet EP, mais il n’en est rien ! Le rap de Limsa mérite une écoute approfondie tant le fond de son rap est dense et complexe. Logique, PT. 3 clôture parfaitement la trilogie, et semble être un tremplin vers de nouveaux projets.
Focus track : J’me sens fous ce soir, est un condensé de ce que fait le mieux Limsa d’Aulnay. Le première partie du morceau est un enchainement de rimes très techniques et imagées, la prod’ est entrainante. Soudain cette prod’ connait un breakbeat, qui plonge l’auditeur dans une atmosphère mélancolique sur laquelle Limsa exprime ses pensées et ses doutes.
9. Caballero – OSITO
Cela faisait quelques années qu’il nous avait perdu : la musique de Caballero ne nous faisait ni chaud, ni froid, et on suivait sa carrière de loin, admirant le personnage pour ce qu’il était devenu. Sans vraiment regretter le “pharaon blanc”, on ne s’attendait pas vraiment à ce qu’il figure dans notre top. Et pourtant ! Avec OSITO, on s’est pris une claque, au point d’avoir envie d’acheter le vinyle. Pour un EP de 7 titres de rap qui sent bon les années 2000 et ses débuts de kickers, c’est également très actuel : c’est le tour de force que réussit ici le belge. Après le fourre-tout OSO, son petit frère OSITO est un condensé des explorations débutées par Caba. Plus personnel, on sent enfin Caballero sortir de la caricature de son personnage : il semble écartelé entre plusieurs chemins, plusieurs influences… et il faut plusieurs écoutes pour déchiffrer le puzzle qu’est ce “petit ourson”, et ce n’est pas pour nous déplaire ! Précis, technique, sincère : Caballero nous cuisine quelque chose d’alléchant, qu’on a hâte de suivre …
Focus track : PARTIE I : BOULIMIQUE , Caballero influencé par Lunatic, c’est toujours quelque chose de percutant, mais sur le premier morceau de ce projet, c’est carrément saisissant.
“Ok tu fais des chansons, moi j’fais des grands sons, nuance”
8. Ucyll – REP BEUNI
Une cagoule de lapin, une D.A unique et des prods entre jazz fusion et electro-hyper pop servies par des rimes faussement simples : c’est la recette d’Ucyll sur son premier EP solo, sorti en mai. Avec un petit côté espiègle et impertinent (extrêmement bien symbolisé par cette figure du lapin désenchanté), Ucyll s’est fait une place dans nos playlists avec un son avant-gardiste, pas toujours abouti, mais toujours intéressant. Entre tristesse face à ce monde de merde et ambition démesurée, Beuni nous touche en plein dans notre petit coeur de glace. Avec un ton acide et presque enfantin, servi par une DA “stupéfiante”, Ucyll crée un personnage digne du cinéma, qui nous emmène dans un voyage sonore excitant.
Finalement, Beuni fait écho à nos angoisses existentielles et nos peurs les plus triviales… Est-ce que Beuni ne serait pas un peu chacun d’entre nous ?
Focus track : Super Sweet 16. Sûrement le track le plus complexe et abouti du lot, Super Sweet 16 se déploie sur des univers mélodiques très différents, prenant par surprise nos oreilles…
7. Kpri – Kpri Tape, vol. 3
Lors de l’émergence de Lyonzon en 2017, c’est K.Pri (alors 15 ans !) qui est déjà l’un des rappeurs les plus identifiables du groupe. Plusieurs années après, il confirme aujourd’hui ce qu’on ne faisait que déceler à l’époque : c’est un rappeur étonnant au talent en pleine explosion. La dernière Kpri tape témoigne de l’évolution d’un artiste qui a déjà de nombreux projets sur sa ceinture, il ne manque maintenant que les breloques. Au vu de la proposition musicale de plus en plus aboutie, celles-ci ne devraient plus tarder… Accompagné de l’excellent Amnezzia sur les prods, K.pri se trace un chemin bien à lui au sein du rap game.
Focus track : Volant, assurément l’une des plus franches réussites de la tape. Ambiance rétro, refrain entêtant, claviers 90’s, le morceau fonctionne à merveille.
6. Ben PLG – Réalité Rap Musique, vol. 1
Décidément, Ben PLG ne chôme pas ces derniers mois. Quelques semaines après l’excellent Parcours accidenté, le lillois livrait le 1er avril dernier l’EP 8 titres Réalité Rap Musique, vol. 1. Loin d’être un agglomérat de chutes de studio, sorti dans la précipitation pour rebondir sur la hype de l’album, ce petit opus est une démonstration : Ben PLG a trouvé sa recette, et la suite ne sera que montée en puissance. Cette formule gagnante, le natif de Tourcoing la concocte sur la durée avec les beatmakers Lucci et Murer, qu’on retrouve encore une fois à la production de RRM. Excellant sur banger (Nickel) ou sur piano-voix (Quand les lumières s’éteignent), Ben PLG raconte le Nord, la pauvreté, la réussite de façon vibrante, comme il le fait depuis ses premières sorties. Son passage stratégique dans Nouvelle École et la sortie du deuxième volet de Réalité Rap Musique dans la foulée confirment deux choses, à savoir la solidité de sa direction artistique et sa détermination à se tailler une place de choix dans l’univers rap FR.
Focus track : La symphonie de l’arrêt de bus. A la fois gris et pop, ce titre est une ode au mélange : mélange des flows (rappé et chanté), mélange des références (de Frodon à Dennis Bergkamp), mélange des émotions (du seum à l’ambition).
5. B.B. Jacques – Poésie d’une pulsion
On avait déjà dit ici tout le bien qu’on pense de la musique de B.B. Jacques, et de Poésie d’une pulsion en particulier. B.B. Jacques, « plus belle plume française en tant que telle » ne cesse d’impressionner par son écriture. Incisif, poétique, violent et raffiné, il ancre son rap dans une voix très incarnée, reconnaissable entre mille. Ce qu’il y a de brillant chez cet artiste, c’est la cohésion qu’il fait tenir entre son interprétation, ses textes et ses prods, qui toujours forment un tout uni et singulier. B.B. Jacques, c’est beau et moderne comme Aragon ; mais c’est dur, et cruel parfois. C’est un tout de sensation, une sorte d’ivresse mélodique et vocale qui nous emporte on ne sait où.
Focus track : Sky on the rocks. Si vous accrochez à ce morceau lent où le rappeur se déploie sur une boucle entêtante de guitare, vous êtes prêt à rentrer dans toute son œuvre. C’est un morceau où B.B. Jacques « Fuck le peu-ra, ce soir » et s’oublie « sur du Bob Dylan ». Vous êtes prévenu, c’est un aller simple.
4. Green Montana – NOSTALGIA+
Après Alaska, son premier album chez 92i et le succès de la mixtape Melancholia 999, le rappeur belge a confirmé son statut de maillon fort dans le rap français. Il a encore plus affiné sa formule : des mélodies accrocheuses marmonnées et murmurées, influencé par un rap américain et britannique. La vibe est agréable mais percutante. L’univers est établi, ainsi que la direction artistique. Nostalgia+ rassemble tous les bons points des deux précédents opus. C’est-à-dire des bangers (Diamant, Papiers, Bezos-Pinault-Bollore), des morceaux planants (Le zen et les seins, Super Heros), ou d’autres plus novateurs (Ultramax400, Mpiaka). La collaboration avec SDM, Neymar JR, est une nouvelle réussite, tant leur alchimie est inévitable. Le style de Green Montana se démarque dans le paysage du rap français légèrement trop monotone ces derniers temps. Nostalgia+ fait partie des albums les plus vendus de l’année, pourtant, aucun tube ne porte réellement le projet. Cela renforce une fois de plus l’homogénéité de la proposition de Green.
Focus track : Le zen et les seins. Le track symbolise à lui seul l’ambiance qui règne dans le projet. La production de Evibeats est d’une grande qualité. Tout le champ lexical du rappeur y est présent. Le zen et les seins, c’est la carte de visite de Green Montana.
3. Lesram – Wesh Enfoiré
Mai 2020. La direction artistique n’est pas encore complètement claire, la structure de l’EP n’est pas absolument cohérente, mais les 7 titres de G-31 nous mettent une belle gifle et confirment tout le bien qu’on pense de Lesram depuis plusieurs années. Surtout, ils font naître l’attente de voir le rappeur du Pré-Saint-Gervais performer sur un plus long format, désir satisfait au bout du suspense avec la sortie de Wesh Enfoiré le 1er avril dernier. Si le format est indéniablement celui d’un album – du point de vue de la construction sonore, des feats qui font décoller les streams (Alpha Wann, PLK) – l’aspect très compact des dix titres rappelle les précédents projets du parisien. Résolument sombre, remarquablement écrit, Wesh Enfoiré est une très belle fresque sur la vie banlieusarde, avec en toile de fond la lutte interne entre amour irrépressible de la cité et volonté d’échapper à son univers.
Focus track : Survivant. Produit par le lillois Mehsah, à l’instar de deux autres titres de l’album, Survivant apporte couleur et chaleur dans un opus plutôt gris et froid. Jouant habilement du décalage entre la démonstration technique des couplets et le refrain chanté, Lesram a eu l’intelligence d’offrir à son opus une respiration.
2. Isha – Labrador Bleu
ISHA a délivré son premier album Labrador Bleu. Après la trilogie La Vie Augmente, et un EP sobrement intitulé Faites pas chier je prépare un album, Isha a synthétisé les forces et faiblesses de ses précédents projets pour parfaire son premier opus. Labrador Bleu s’ouvre par la naissance d’un enfant, et se clôture par le choix d’une pierre tombale qui porte la couleur labrador bleu. L’artiste plonge ainsi l’auditeur dans la réalité de la mort, il parle de ceux qui ont disparu, et de leur héritage. Par ailleurs, Isha a souvent dévoilé des choses intimes, pour cet album il a délaissé cet aspect pour aborder l’environnement qui l’entoure et surtout pour se libérer musicalement. Sur les quinze morceaux de Labrador Bleu, il y a des morceaux très mélodiques comme Balle dans la tête, ou bien des morceaux plus bruts comme On sourit pas sur les photos. Ce premier album est donc, une sorte de libération pour Isha, il peut enfin affirmer son art et ses envies.
Focus track: Modou en featuring avec Limsa D’Aulnay, est un morceau aux teintes électroniques qui prend l’auditeur à contre-pied tant les deux artistes sont habitués à du rap très technique à l’instar du morceau Starting Block. Les deux artistes ont annoncé un projet commun lors de leur concert à la Gaîté lyrique symbole de leur symbiose.
1. BU$HI – Bushi Tape 2
En l’espace de 13 titres bien produits, Bu$hi porte son projet et clame son avance sur le reste du game : « quand j’étais en Amiri, ils étaient en Evisu ». Si on peut parfois reprocher au rappeur une forme de superficialité dans son art par son évocation constante de l’argent et des marques de vêtements, cette superficialité n’est pourtant qu’apparence et serait une compréhension limitée de sa musique faite d’égotrip et de mélancolie. En effet, l’argent et les apparats semblent être davantage des pansements dissimulant des obsessions et émotions plus profondes chez l’artiste. Sur Bu$hi Tape 2, le rappeur fend davantage l’armure mais reste agrippé à sa vision nihiliste. La gravité terrestre emprisonne et à défaut de vaisseau pour se rendre sur Saturne – sa planète de prédilection – l’artiste utilise le « végétal » comme mode de transport : les ronds de fumée lui permettent de recréer sa dimension saturnienne et de l’incarner. L’attrait de ce disque tient également à la qualité des productions, concoctées par des beatmakers de talents piochés outre Atlantique (DJ Durel sur Parachute, FREAKEY! sur Dillawave) et par le lyonnais TaeminTekken, qui ensemble participent à donner une ambiance sonore singulière à cette seconde Bu$hi Tape.
Focus track : Sur Link Up, et son instrumental Rage, encore peu exploré dans le rap français, le rappeur lance sa Bu$hi Tape de manière énergique. Le clip est un parfait esquisse de l’univers visuel et de la D.A toujours soignée du rappeur.