[Interview] Di-Meh : « Je vois ma musique comme une sorte de pansement, de médicament »

Depuis plus de 10 ans, Di-Meh parcourt les rues de Paris, tout droit venu de Suisse et de Genève. Il rayonne par une énergie débordante et communicative, ainsi que par son amour pour le rap francophone. Après 4 projets (Focus vol & et vol 2, Fake Love, Mektoub), l’artiste Suisse a décidé de rendre hommage aux anciens avec une mixtape de Boom Bap nommée OV3. À 27 ans, c’est presque un retour aux sources pour Di-Meh, lui qui est originaire des open mics et des tournois de rap en Île-de-France. Rencontre. 

Crédit photo : Clement Ardin

LREF: Quels retours as-tu eu de OV3 (à écouter ICI) ? 

Di-meh : J’ai eu de très bons retours de mes fans actuels et de ceux de la première heure. J’ai l’impression d’avoir réussi à toucher un nouveau public aussi. Je vois que OV3 a plu car je reçois de nombreux messages sur les réseaux et on m’arrête souvent dans la rue pour me féliciter. Ça fait vraiment plaisir en tout cas. 

Quelle est la signification du nom OV3 ?

OV3, ça veut dire “on veut 3ich”. 3ich, c’est un terme que j’ai arabisé. Cela signifie vivre en quelque sorte. OV3, c’est un état d’esprit et une mentalité. Nous sommes venus prendre notre pain et le partager avec nos proches et familles. C’est un peu la gamberge globale. Sur le dernier titre Outro, je propose une cypher, où je fais 3ich les artistes que j’aime bien.  

Tu considères le projet comme un album ou une mixtape ?

C’est une mixtape. Je n’ai pas eu le même budget de communication et de promotion que pour Mektoub. On a fait OV3 de façon homemade avec les moyens du bord. 

En combien de temps as-tu créé OV3

Je l’ai fait en 5 ou 6 mois. Dès que j’ai sorti la réédition de Mektoub, j’ai enchaîné sur la conception de OV3

Pourquoi avoir choisi de proposer un album 100% Boom bap avec une direction artistique aussi établie ? 

Parce que c’est cool de sortir des projets avec un format inédit. J’aime bien proposer quelque chose de nouveau à chaque sortie. Ça me faisait plaisir de revenir aux sources aussi. J’ai lancé ma carrière avec du Boom Bap. C’est comme si je revenais jouer dans le club de football de mon enfance (rires). 

Quel est ton rapport avec le Boom bap ? 

J’aime beaucoup le Boom bap. C’est un style qui a évolué au cours des dernières années. Je trouve qu’il y a toujours des cycles avec le Boom Bap. Ça revient mais c’est un peu plus fancy. Actuellement, tu peux entendre du Boom Bap à la Fashion Week. 

C’est ce que tu préfères faire ? 

Non pas forcément. J’aime varier ma proposition musicale.

Est-ce que OV3 c’est du Old school selon toi ? 

Oui et non. Dans le projet, il y a des prods très nineties et d’autres de nouvelles générations. Par exemple, OV3 et Chocolat, ce sont deux morceaux avec du Boom Bap de 2022. C’était important de mêler les générations et les genres. 

Est-ce qu’il manquait du son Boom-bap dans le rap francophone selon toi ? 

Oui. Je suis content que ça revienne dans le rap francophone. Des mecs comme JeanJass, Isha, Benjamin Epps, Souffrance ou encore Caballero participent à ce nouveau cycle.  

Etait-ce obligatoire pour toi d’inviter des artistes qui savent kicker sur un projet de pur kickeur comme OV3

Oui carrément. Sur l’outro du projet, il y a des mecs qui ne sont pas des kickeurs pourtant. Certains ont même posé pour la première fois sur du Boom Bap. Slimka, on ne l’avait jamais entendu sur ce style jusqu’à présent.  

Comment se sont faites les connexions avec les invités du projet ? 

Avec Benjamin Epps, on se croisait souvent en tournée. Comme je voulais faire un projet 100% Boom Bap, je lui ai proposé que l’on fasse un morceau ensemble. Il a tout de suite été chaud. Pour le feat avec Dollypran, je voulais le voir sur une prod old school, sachant que son style, c’est plus du new school.

Pour Will Smith avec JeanJass, il m’a d’abord envoyé la prod puis par la suite, on a posé dessus. On a fait Veuve Clicquot, directement au studio avec Caballero

Dans le projet il y a Nonante-huit avec Pandrezz. Tu as aussi collaboré avec lui sur la ZZCCMXTP sur les deux morceaux Big Buckets et Flow Externe. Quelle relation artistique avez-vous tous les deux ? 

Une très bonne relation. Je vais souvent dans son studio. Une fois, j’ai ramené Mairo avec moi sur Paris. C’est à ce moment précis, que l’on a fait la prod de Nonante-huit. C’est super naturel avec Pandrezz

DI-MEH - Nonante-Huit feat. Mairo (Prod. by Pandrezz & Epektase) (Clip Officiel)

Si OV3 fonctionne autant, je pense que c’est aussi grâce à tes lyrics hypers référencés. En quoi c’est important pour toi de communiquer tes références ? 

Mes références, c’est ce qui m’influence le plus. Si j’en parle dans mes textes, c’est pour que les auditeurs me connaissent davantage. C’est une invitation à entrer dans mon monde en quelque sorte. 

Dans le morceau Veuve Clicquot, est-ce que ton flow est une dédicace à Joey Bada$$ ?

Même pas. J’aime bien ce qu’il fait mais il ne m’a pas vraiment influencé sur le projet. Je vois ce que tu veux dire et je kiffe sa direction artistique mais non ce n’est pas une dédicace. Je serais chaud de faire un son avec lui un jour, pourquoi pas.

DI-MEH - Veuve Clicquot feat. Caballero (CLIP OFFICIEL) prod. by Sperrow

Quelles sont tes influences ? 

Principalement mes potes. La période des années 90 et 2000 m’a aussi beaucoup influencé. Le rap français m’a donné certains codes. Je pense notamment à Booba à l’ancienne, Lunatic, Salif ou encore Busta Flex. Je pense que mes influences se ressentent pas mal dans OV3. Partager ma culture musicale, c’est important. 

J’ai l’impression qu’avec OV3, tu t’es épanoui. Pourrais-tu continuer à proposer des projets de Boom bap à l’avenir ? 

C’est exactement ça mec. J’ai pris beaucoup de plaisir. Après, OV3 c’est un format spécifique. Je ne veux pas faire que ça et m’enfermer dans ce style. Je ne vais pas oublier tout le reste. Ce qui est sûr, c’est que je peux revenir avec d’autres mixtapes de Boom bap pour me faire plaisir et faire plaisir aux gens. Il y a plein de manières de se renouveler. J’ai habitué mes auditeurs à une certaine diversité musicale. 

Tu es réputé pour ta folie et ton excentricité au micro. Avec OV3, tu prouves que tu ne fixes que peu de limites à ta musique. Est-ce c’est un aspect que tu veux conserver ? 

Oui, je veux me mettre aucune barrière. Le but de ma musique, c’est faire ce que j’aime. Je pense que cela se ressent sur mes projets. Je ne me limite pas aux codes français ou suisses. 

(Photo by Victor Boyko/Getty Images For Kenzo)

Dans le morceau OV3 tu dis “Et la musique ouais j’fais ça pour moi”.
Est-ce que tu fais vraiment de la musique de manière égoïste ? 

Oui. Je fais ma musique pour moi et après je l’offre aux autres. Avant tout, c’est un exutoire. Je partage mes douleurs, mes peines et mes joies, pour que ça fasse du bien au public par la suite. Je vois ma musique comme une sorte de pansement ou de médicament. 

Dans le morceau Promethazine, tu dis “Tu entres dans l’âge adulte, bienvenue / C’est une suite de déceptions et de négociations”. Selon toi, sommes-nous assez préparés à affronter la vie d’adulte dès le plus jeune âge ? 

Je ne pense pas. C’est à nous de nous préparer tout seul. À l’école, on ne te dit pas que la vie d’adulte va être compliquée. On ne nous parle pas de dépression par exemple. Personne ne t’apprend réellement ce qu’est la vie, hormis nos parents. L’école pourrait nous apprendre à se pencher davantage sur l’état mental des gens. 

Es-tu quelqu’un de nostalgique ? 

Oui carrément. Malheureusement, j’adore la nostalgie (rires). Elle peut te remettre dans de bons moods comme de mauvais. Dans tous mes sons, il y a de la nostalgie. C’est quelque chose qui m’inspire beaucoup. 

Sur la cover de OV3, il y a écrit ton nom et le nom du projet sous la forme d’un graffiti. Est-ce une référence aux origines du rap en France ? 

Oui, on a pensé à cet aspect lors de la conception de la cover mais c’est surtout parce que ça collait bien au mood. Quand j’ai brûlé la paire de TN pour la cover, je me suis dis que c’était cool d’avoir par dessus un graffiti. C’est un ami tagueur qui l’a fait d’ailleurs. 

Pourquoi avoir mis en avant une paire de TN sur la cover ? 

La TN, ça évoque toute une époque. Elle est indémodable. Elle n’est jamais morte. Des années 90 à 2022, elle est toujours en place. C’est un peu la mentalité du projet. On l’a brûlé car même dans les flammes, elle survit. 

La cover est-elle une référence à ton projet Focus, vol2

Yes exactement. C’était l’idée. C’est un retour aux sources. 

Pourquoi avoir choisi la couleur orange ? Que représente-t-elle ? 

C’est l’une de mes couleurs préférées. De base, la couleur de la paire de TN était orange, donc c’est aussi un petit clin d’œil. 

Tu as eu l’occasion de faire quelques festivals pour défendre ton projet. Comment ça se passe OV3 sur scène ? 

Ça se passe bien. Je n’ai pas encore eu l’occasion de faire tout le projet en intégralité sur scène mais je suis content de la réception de certains morceaux. 

Qu’est-ce qui te plaît autant avec la scène ? 

De faire vivre mes émotions en direct avec le public. La scène, c’est vital pour moi. Ça me permet d’aller bien. Cependant, je vais essayer de faire une petite pause de concerts afin de me rendre plus rare. 

Quelles sont tes ambitions pour la suite ? 

Je veux réunir des gens et tout simplement faire de la musique. Plein de trucs vont sortir, il va falloir être vif (rires). Je pense que ça va arriver rapidement car la consommation de la musique a changé. Je ne compte plus trop dormir. En 2022, si tu n’es pas un artiste confirmé dans le rap game, les gens t’oublient vite. Il y a de nouveaux projets et artistes toutes les semaines. Ce n’est plus possible de disparaitre un an ou deux aujourd’hui. Jul nous a montré qu’il existait aussi des côtés positifs à sortir des morceaux régulièrement. Depuis le début de ma carrière, je suis habitué à être actif, donc ce n’est pas quelque chose qui me dérange. 

Tu te définirais sous quel statut dans le rap francophone ? 

Je ne suis plus un rookie. Je suis entre l’Underground et la Fame. J’ai l’impression d’être hors catégorie. Je n’arrive pas à me situer. On essaye de créer notre propre musique avec notre touche pour se démarquer au maximum. Notre principale concurrence, c’est nous-mêmes. 

Est-ce que Di-Meh a encore la dalle après plus de 10 ans dans le rap ? 

Toujours. Il faut savoir la conserver et l’entretenir. Dès que je m’ennuie, j’essaye de trouver de nouvelles choses à explorer. Il y a plein de moyens pour améliorer ton rap et le business autour. Il y a plein de passion dans le rap. 

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