Alors qu’il vient de sortir son album Panorama, rencontre avec Yuri J, rappeur aux “douleurs fantômes”.
“L’Epicerie Gang sort ses meilleurs albums cette année” tweetait Moise The Dude en avril dernier, à propos du collectif Epicerie Gang, sur lequel on a écrit un article (que vous pouvez retrouver en cliquant ICI), et dont Yuri J fait partie. L’auteur de Mauvais oiseaux confirme les propos du Mo avec son album Panorama : que ce soit sur le fond comme sur la forme, Yuri J s’y montre à l’apogée de son art. Alors qu’on l’interroge sur ce sujet, il n’hésite d’ailleurs pas à dire lui-même que Panorama est le meilleur projet de sa carrière. “C’est le plus complet. J’y sors mes meilleurs skills, et c’est le mieux produit”. Dans la vie privée, il nous confie avoir également step-up : “Je me suis assagi, je suis devenu un mec tranquille”. Pourtant, à l’écoute des 9 titres (17 pour la version cassette) qui composent ce premier véritable album de sa carrière, Yuri J a l’air d’être toujours le même boug : un mec rongé par ses démons, et qui, pour compenser, “s’allume fort à l’heure où ça dort”, comme il le rappe dans le morceau Lossa Shit. “C’est à grands coups de liqueur qu’on règle nos soucis. Ce n’est pas la meilleure solution… Mais au moins, ça fait de la bonne musique”.
De la bonne musique, il en écoute depuis l’adolescence, période durant laquelle il écoute des groupes comme La Rumeur ou le rappeur Alpha 5.20. Puis il découvre le rap US à travers la Three Six Mafia, Juicy J, ou encore Gucci Mane. Alors qu’en parallèle il commence à écrire des bouts de texte (“parce que je me faisais chier”), il décide de poser sur des type-beat reprenant ces sonorités issues du rap du sud des USA. Et poussé par son pote Mugen qu’il connaît depuis l’adolescence (“je le considère comme mon manager aujourd’hui”), il enregistre plusieurs morceaux. C’est ainsi qu’en 2013 sort Texas Tea, la première mixtape de Yuri J.
Sur ce premier projet, on trouve déjà tout l’univers du rappeur du 91 : les instrus à la Chief Keef, les références au sirop qui vont avec (le Texas Tea est un cocktail codéiné), une façon de poser assez inédite dans le rap français (“J’écris comme je pense, pour ça que c’est illisible” rappera-t-il plus tard dans l’excellent La vie en rose), et surtout, des lyrics assez sombres et mélancoliques, atténuées par quelques pointes d’humour noir. “Je ne sais pas d’où ça vient toute cette noirceur. J’aimerais bien le savoir d’ailleurs. Ça m’éviterait d’aller dans certains extrêmes… mais on vit avec.” Aujourd’hui, Texas Tea reste un projet important aux yeux de Yuri J. “C’est mal enregistré, mal mixé… Mais j’en garde un bon souvenir. Et il a été pas mal écouté et téléchargé, j’avais fait 400 téléchargements sur Bandcamp. Il y a encore des gens qui m’en parlent aujourd’hui, des gens qui connaissent encore les paroles par coeur… C’est un truc de ouf pour moi, à mon échelle”.
Le Tennessee, Neufcube et Arnold
Malgré ce petit succès d’estime, Yuri J mettra 5 ans à revenir, en 2018, avec Texas Tea volume 2 (“je n’avais plus la tête à ça”). Un retour au rap enclenché par la création de prods, lui qui est beatmaker à ses heures perdues : “je vois ça comme un jeu vidéo, et ça fait passer le temps”. Un attrait pour les instrus qui, par ricochet, lui donnera également l’envie de rapper à nouveau. Sur ce volume 2, on découvre un Yuri J un poil plus apaisé, et plus ouvert musicalement, comme le prouve le titre Whine et sa rythmique presque dansante (“j’écoutais pas mal de Dancehall à ce moment-là”). Mais côté textes, on reste dans du Yuri J pur jus : on y trouve des punchlines telles que “j’ai pas faim tant que mes démons sont nourris”, “j’suis comme un mort sans tombe”, ou encore “l’enfer c’est les autres, le bonheur c’est la pharmacie” sur le titre 156 bpm. “J’étais encore dans le Tennessee dans ma tête à ce moment-là… Maintenant, ça s’est calmé. J’ai arrêté toutes ces conneries.” Rayon nouveautés, on trouve également les premières collaborations avec La Prune ou LK de l’hôtel Moscou, avec qui Yuri J va collaborer à de nombreuses reprises, allant jusqu’à faire un album en commun avec lui, Entropie.
Depuis ce retour au rap entamé en 2018 avec Texas Tea volume 2, Yuri J se montre hyperactif : il sort Kulte, Sobre & confiné, Entropie, Carré, et enfin Panorama, livré début mai 2021. Une sortie différente des précédentes : désormais affilié au duo de beatmakers Neufcube (“notre collaboration ne fait que commencer”) et au label La Phonkerie (“c’est eux qui payent les packs de 24 pour le studio” dit-il en rigolant), il peut entièrement se consacrer à son rap. Un rap où dans lequel il dit continuer de se “brûler les ailes au Damoiseau”, mais où il affirme également “viser le Gucci clone”, en référence au Gucci Mane fit et en pleine forme que l’on a vu sortir de prison en mai 2016, en totale opposition au Gucci Mane gros et codéiné qu’il était au moment de son incarcération, ce qui a poussé certains fans un peu illuminés à croire qu’il s’agissait d’un clone. Pour Yuri J, devenir ce fameux clone de Gucci Mane passerait par une étape essentielle : réussir à dire au revoir à Arnold, une sorte de double maléfique. “Arnold, c’est une partie de moi qui est assez sombre, que certaines personnes connaissent… Il est incontrôlable, ingérable. Pour le bien de tout le monde, faudra l’enterrer un jour. En attendant, j’essaye d’en faire quelque chose de constructif en faisant du son”.
L’album Panorama de Yuri J est disponible en version digitale et physique sur le bandcamp de La Phonkerie en cliquant ICI