Depuis ses débuts dans la musique, Bakari suit son propre chemin. Le rappeur Belge est déterminé à imposer sa patte singulière sur le rap francophone entre chants et kickage.
Après la sortie des EPs Sur écoute, en référence à la série The Wire, Bakari s’apprête à faire son grand retour avec la ferme intention de se délester de l’image de rookie et de mettre Liège sur la carte du monde. Rencontre.
[LREF] Comment vas-tu Bakari ?
[Bakari] Ça va très bien merci. Depuis le début de l’année, je suis enfermé au studio.
Quel bilan tires-tu de ta série d’EPs Sur écoute ?
Ce sont des projets qui m’ont permis d’être visible auprès du public français. À la base, j’étais uniquement basé sur Liège, voire Bruxelles mais pas plus loin. Ces trois EPs ont été ma carte de visite et ma première interaction avec la France. J’ai eu des retours positifs. Cela m’a permis de tourner tout l’été 2022 donc le bilan est très bon.
Un 4e est-il en préparation ? Si non, travailles-tu sur un nouveau projet actuellement ?
En ce moment, je bosse sur un projet qui prendra la forme d’un LP. On est en train de définir l’univers. Ce sera un projet bien plus conséquent que les précédents avec 10 titres au minimum. Ce sera toujours du Bakari avec de nouvelles influences. Depuis le dernier EP, j’ai aussi évolué dans ma vie personnelle. Je vais aborder de nouvelles thématiques. Si je te parle toujours de bicrave 5 ans après, tu vas trouver ça bizarre. Je me donne du temps avant de finir le projet afin qu’il soit le plus abouti possible. Ça sortira en 2023, c’est une certitude.
Tu as délivré Hybride Live Sessions avec Junio Beats en octobre 2022. Le live est un exercice qui te plaît ?
C’est même l’exercice que je préfère. Les guitares-voix, ça fait partie de mon ADN. C’est juste de la musique que j’aime faire. On l’a fait au feeling car c’était un amusement. L’objectif était de revisiter les morceaux pour que les gens se les prennent autrement. Je pense qu’on refera ce genre de format à l’avenir. Actuellement, je suis dans une phase de ma vie où je n’écoute presque plus de rap. Je suis plus porté sur des musiques à la guitare, deep et assez spatial. J’écoute aussi des musiques de films.
Tu as aussi sorti la série de single nommée SoloBinks. Quel était son objectif ?
L’ambition était de préparer les auditeurs à ce qui allait sortir et de leur donner de la musique. Ça permettait aussi de leur rappeler que je n’étais pas en train de dormir.
Tu es signé chez Hall Accès, label de Sony Music. Qu’est-ce qu’ils t’apportent concrètement hormis de la visibilité ?
Dans le processus actuel de création du nouveau projet, ils sont derrière moi. Pour la partie artistique, ils ne s’en occupent pas. Avec mon équipe, on maitrise ce sujet. Le label met à disposition quelques personnes pour m’aider avec le studio et le mix. C’est un travail d’accompagnement. Je suis assez libre et autonome. On a trouvé la bonne formule ensemble.
Selon toi, quel est ton statut dans le rap francophone actuel ?
Je pense que pour les gens, je suis toujours un rookie. Personnellement, je ne me sens plus dans cette catégorie. Je vais te parler comme un combattant d’UFC mais, dans mon esprit, je les prends tous. Si on met de côté les chiffres, il n’y a pas un rappeur qui est au-dessus. Je sais ce dont je suis capable et ce que je peux faire en studio. Artistiquement, je sais où j’en suis.
Penses-tu avoir acquis une fanbase solide ?
La fanbase n’est pas super large mais elle est très solide. Je le vois sur les réseaux et le discord. Je discute avec pas mal d’entre eux. Quand je viens en France, ils sont nombreux à connaître mon répertoire. Ça me fait vraiment plaisir.
Quel rapport as-tu avec la France ?
C’est un pays où je reçois beaucoup d’amour, voire même plus qu’en Belgique. Ici, c’est un petit pays. Les gens me connaissent mais il y a cette sorte d’égo, qui nous empêche de soutenir à fond les artistes locaux par peur de passer pour un suceur. En France, il n’y a pas cet esprit car le territoire est large. La France aime les rappeurs belges et je ne sais pas pourquoi. [Rires]

Tu représentes la scène belge provenant de Liège avec d’autres rappeurs comme Maka ou encore Fresh. Quelle est votre particularité selon toi ?
On a une particularité commune : on se connaît tous depuis l’enfance. On a cet esprit sectaire. Il y a une histoire entre les différentes villes belges. On est très refermés sur nous-mêmes mais les choses évoluent. Par exemple, Maka a collaboré avec Geeko qui est de Bruxelles. J’ai aussi featé avec Tawsen qui vient de BX. On essaye de casser cette image tout en la conservant.
Avez-vous déjà fait des morceaux ensemble avec Maka et Fresh ?
Avec Maka, il y a plusieurs morceaux de prêts. Je pense qu’on en sortira quelques-uns. Concernant Fresh, il a décollé et évolue dans une autre catégorie.
Tu disais en interview qu’il n’y avait pas de structures pour faire du son à Liège. Est-ce quelque chose que tu aimerais mettre en place ?
Oui c’est une vraie volonté. J’ai déjà commencé à mettre des trucs en place avec mon manager. Nous en sommes encore à la partie administrative. C’est un truc que nous avons en tête depuis que j’ai commencé à rapper. À Liège, il y a plein de rappeurs qui ont compris le business. Si quelque chose voit le jour, ça viendra de notre génération.
Ton premier projet s’appelait Kaléidoscope, sorti en 2018. Comment as-tu vécu la sortie de la série Netflix du même nom ?
Ça m’a fait rire mais je ne l’ai pas encore regardé je t’avoue.
Tu as récemment collaboré avec So La Lune sur BakaTsuki. 2023 sera une année tournée vers les featurings pour toi ?
Oui carrément. Plusieurs featurings sont déjà prêts. Avec les premiers EPs, on voulait marquer l’identité Bakari. Maintenant que le travail a été effectué, il est temps de s’ouvrir aux autres. Je n’ai aucune barrière pour collaborer. Il faut juste que l’univers de l’artiste me parle.
Tu es ami avec Sofiane Pamart et tu as collaboré avec lui sur Panamera. Est-ce possible qu’on vous voit tous les deux sur un album commun ?
Ce serait trop bien. Récemment, on a reparlé de faire de la musique ensemble. Après, la carrière de Sofiane a vraiment décollé. Je vois la vie comme un manga et un shonen. Dans mon esprit, on est dans One Piece et lui, il est déjà dans un autre arc. J’ai envie de le rejoindre à son niveau pour que ce soit cohérent. La pire des choses, ce serait qu’on vende cet album comme “Sofiane Pamart et un rappeur”. Il faut que l’histoire soit belle pour que cela ait un impact. Sinon, faire de la musique avec Sofiane c’est toujours un plaisir.
Dans plusieurs de tes interviews, tu as déclaré vouloir faire un feat avec Jul. En as-tu eu l’opportunité depuis ?
C’est une collaboration qui me tente toujours. Jul est vraiment trop fort. J’admire sa capacité à bosser en continu. On n’a pas encore eu l’occasion de se contacter. Même chose qu’avec Sofiane, c’est à moi de le rattraper.
D’où te vient ce sens de la mélodie ?
Je pense que cela vient de l’environnement dans lequel j’ai grandi. Indirectement, j’ai été influencé. En 2018, je suis revenu au Rwanda pour voir de la famille. Un de mes oncles m’a rappelé que dès le plus jeune âge, je chantais de la variété française et de la rumba congolaise avec ma tante. Ce sont des styles où il y a de la mélodie et de nombreux instruments. Depuis que je suis petit, j’ai baigné dedans. J’ai découvert le rap bien plus tard en arrivant à Liège. Mes références musicales, c’était Francis Cabrel, Koffi Olomidé et Bob Marley. À mes débuts dans le rap, la mélodie ne s’est pas imposée comme une évidence. Je savais chanter et je n’ai pas voulu limiter ma proposition artistique. Cela m’a permis de faire passer plus d’émotions dans mes morceaux.
Tu fais tout seul tes toplines ?
Oui. Carrément, je refuse que l’on m’en fasse. J’aime me prendre la tête sur cet aspect pour trouver le truc qui va attraper l’oreille de l’auditeur. J’estime que le jour où je n’arriverais plus à en faire, c’est qu’il faudra s’arrêter. Ce n’est même pas une question d’égo. Il m’arrive parfois de faire des toplines pour certains mais pas l’inverse.
As-tu déjà pris des cours de chant ?
Pas du tout. C’est vraiment à force de m’entraîner. De nos jours, avec l’autotune, il n’y a plus vraiment besoin d’en prendre aussi. Pour le rap, ce n’est pas nécessaire. Si un jour je change de branche, il faudra que je prenne des cours afin de perfectionner mes capacités.

Quelle est la couleur principale de ta musique selon toi ?
Je dirais le violet avec son côté sombre et lumineux. C’est une couleur mystérieuse.
Les deux aspects qui ressortent de ta musique, ce sont l’authenticité et la mélancolie. Es-tu d’accord ?
Oui je suis d’accord avec toi. C’est quelque chose qui est voulu car c’est la musique que j’écoute. Je ne suis pas fan du rap où on extrapole beaucoup. J’aime la musique authentique. Par exemple, j’écoute ZKR.
Dans tes morceaux, on a l’impression que tu as l’ambition de démystifier l’image de la rue. Est-ce le cas ?
Oui c’est ça. Je veux qu’on arrête d’en faire des tonnes. Ce que je raconte, ce ne sont pas des trucs de fous. Il y a juste à sortir de chez soi pour observer la réalité. Je ne cherche pas à romancer la rue. Les quartiers, ce sont des communautés comme les autres. Sur une cité de 10 000 habitants, il n’y a pas 10 000 bicraveurs. La majorité va travailler. C’est juste un contexte qui fait qu’il se passe ce genre de choses. Les rappeurs font souvent le parti pris d’en parler dans leurs textes mais ce n’est pas la réalité de tous. En 2023, il y a du trafic partout, même à la campagne.
Qu’est-ce qui te plaît dans l’écriture ?
Quand j’étais petit, je voulais devenir écrivain. En réalité, je suis tombé amoureux de la langue française. Quand j’ai découvert cette langue, j’ai pété les plombs. [Rires] C’était tellement riche. Avec peu de mots, tu peux dire tellement de choses et vice-versa. J’ai immédiatement aimé le fait de pouvoir exprimer mes pensées dans les moindres détails.
Après le rap, pourrais-tu devenir écrivain ?
Oui, ça m’intéresse. Je pense que je le deviendrais un jour mais ce ne sera pas dans un but commercial. Je le ferai pour l’exercice et pour le plaisir. Je pourrais dire à mes enfants que j’ai écrit un livre.
C’est une case que tu as envie de cocher ?
Oui exactement. J’ai aussi envie de faire un film. Pour l’après-rap, je souhaite m’éloigner au maximum du monde de la musique. Cela va me permettre de retrouver ce lien originel que j’avais avec la musique. C’est-à-dire une innocence pure. Une fois que tu es rentré dans le circuit, tu la perds car il y a des attentes commerciales.
Quelles sont tes ambitions dans la musique pour 2023 ?
J’ai envie de passer un nouveau palier : à savoir se délester de l’image d’un rookie que l’on ne peut pas identifier.
Qu’est-ce que je peux te souhaiter pour la suite ?
La santé, la paix et pour le reste c’est de mon ressort. Si je continue de travailler dans la musique, je vais réussir.