À l’occasion de la L2P Convention organisée par La Place pour les professionnels du Hip Hop, nous avons rencontré Julien Cholewa, l’actuel (et seul) directeur de ce lieu au centre de Paris, qui fait la part belle aux différentes expressions artistiques de la culture Hip Hop.
Au coeur de récentes polémiques et lieu évidemment culturel inédit, La Place est un projet de la mairie de Paris, située sous la Canopée des Halles, dans un quartier historique pour le Hip Hop à Paris et en France. Lieu d’expression entièrement dédié au Hip Hop, La Place a pour mission de promouvoir l’ensemble des esthétiques et pratiques artistiques de ce mouvement culturel « à travers des actions de diffusion, de transmission, de soutien à la création et d’accompagnement. » La Place est équipée d’une salle de concert, d’un studio de diffusion et de création, d’un espace d’exposition, d’un bar et dispose de 8 espaces de création. Après la polémique lié aux position de Rachel Khan (article retraçant la situation ICI), puis son départ, nous avons accordé toute notre attention à Julien Cholewa, l’actuel directeur du lieu.

Pour commencer, quand est-ce que tu es arrivé à La Place ? Car tu n’étais pas au tout début à l’ouverture du lieu, c’est ça ?
Effectivement, je suis arrivé en mars 2020, au début de la fameuse crise COVID, alors que La Place est un lieu, un projet qui date de 2016.
Pourquoi y a-t-il eu un changement d’équipe, de direction ?
Je suis arrivé pour prendre la suite de la première équipe, après la première direction qui avait pour tâche de lancer ce projet ambitieux : il fallait tout lancer, c’était une première. Il y avait beaucoup de choses à mettre en place. Et ensuite, avec mon arrivée à la direction, l’idée c’était de poursuivre, d’ouvrir une nouvelle page, car il restait encore encore pas mal de choses à faire et de beaux projets à poursuivre…
Comment tu définirais La Place de 2022 et ses valeurs ?
La Place aujourd’hui, c’est un lieu qui doit être POUR les artistes et les professionnels.
On a vraiment envie d’être un lieu ouvert aux artistes, c’est en fait notre objectif principal : donner la parole à tous les artistes et acteurs de la street culture, de la culture hip-hop.
C’est à dire la musique, la danse, le graffiti, … Même si le graff, c’est un sujet un peu différent et pas évident à traiter à La Place, du fait des possibilités assez limitées que permet le lieu, mais petit à petit on va y arriver.
La Place, c’est avant tout un espace d’échange de travail, de création et de diffusion pour les artistes.
Et nos valeurs, c’est de pouvoir représenter toutes les tendances de ce que représente le Hip Hop, le rap, les danses,… Aujourd’hui, c’est un mouvement artistique hyper large, avec plein de tendances et d’expressions très différentes : l’idée c’est de pouvoir tout présenter avec un certain équilibre.
C’est aussi être ouvert à la nouvelle scène, la scène émergente. Notamment en accompagnant les jeunes artistes et après de pouvoir les diffuser. Le sujet de La Place est vraiment hyper large et touche à différentes étapes de la création, on cherche à répondre à de nombreuses problématiques : il y a de l’accompagnement artistique, des résidences de création, de la formation, des moments de transmissions, …
C’est très important pour nous la transmission, notamment aux jeunes : maintenant le Hip Hop c’est aussi une culture qui va avoir 40 ans. Sans vouloir rabâcher ou souler les jeunes, il faut aussi pouvoir comprendre la culture dans sa globalité, savoir d’où ça vient et pourquoi. Tout en restant tourné vers la nouvelle création, et se tourner vers ce qui se fait aujourd’hui, bien sûr.
Comment est-ce que vous aborder le sujet du graff, grosse composante du Hip Hop historique et qui est par nature frileux des institutions ?
C’est un sujet qui nous tient à coeur, et on vient d’ailleurs de lancer un projet pour faire vivre le graff au sein des murs de La Place. C’est quelque chose auquel on a beaucoup réfléchi avant de pouvoir le lancer : il s’agit des modules qui sont dans les salles d’accueil au public, dans le hall et à côté du bar. Tous les 2-3 mois, nous allons essayer de faire venir de nouveaux artistes. C’est une manière de faire graffer les artistes dans les murs, et de montrer la variété de son expression.
Le graff, et au sens large, toutes les cultures que l’on porte, les cultures populaires, marginales, etc, effectivement dans leurs liens aux institutions, c’est pas tout le temps évident, ça peut marcher ou ça peut accrocher. Mais, c’est aussi plus d’expositions et plus de moyens, donc ce n’est pas toujours dans le négatif.
Mais, avec le hip-hop dès le début, la démarche, c’était de s’exprimer de manière la plus forte possible, d’être visible partout, et de pouvoir se professionnaliser pour vivre de sa pratique artistique. Il y a et il y aura, sans doute toujours, ce paradoxe fort de venir d’une culture marginale avec une démarche créative de transgression, tout en cherchant le succès et la visibilité.
C’est très intéressant d’évoluer au sein de ce paradoxe et il doit continuer à exister pour nourrir la création, mais ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas de visibilité et d’exposition institutionnelle. Il y a de forts succès commerciaux en rap, mais ça ne veut pas dire que la scène underground meurt et disparaît. C’est justement là qu’il faut agir pour soutenir et préserver : La Place c’est un centre culturel de la ville de Paris, et en même temps il y a des artistes qui peuvent être visible ici et continuer de tagger et graffer dans la rue.
La Place, c’est un lieu qui appartient à la mairie de Paris, du coup, comment est-ce vous manoeuvrer avec un statut comme ça ? Comment se passe la programmation, est-ce que vous avez des limites ?
On est très libre de la programmation, la liberté artistique est assurée. On a une vraie liberté de prog’, mais comme dans n’importe quelle structure, il faut être attentif sur certains sujets. Dans tout cas de pratiques artistiques, ou littéraires, globalement culturelles, il y a limites, mais c’est à mon jugement, au jugement de la direction artistique et ce n’est pas lié au statut institutionnel du lieu. Tout le monde est bienvenu à La Place.
Quel est ton parcours à toi pour en arriver à la direction de La Place ?
Avant d’arriver à La Place , donc il a bientôt 2 ans, je me suis occupé du festival Paris Hip-Hop et de l’association Hip-Hop Citoyens, pendant une quinzaine d’années.
Le festival, c’est un projet que j’ai co-fondé avec Bruno Laforestrie et Yannick Freytag.
Plus précisément,J’ai commencé à travailler chez Hip-Hop Citoyens autour de 2003-2004, avant la première édition de Paris Hip-Hop en 2006. Et depuis, on a fait 14 éditions du festival, où je m’occupais beaucoup de la programmation artistique. L’association était une petite structure qui s’est développée et on était un peu tous des couteaux-suisses qui s’occupaient de pleins de sujets. J’étais le seul salarié au départ, et j’ai un peu tout fait, jusqu’à ce qu’on se développe, qu’on soit ensuite 3, 4, puis 5…
On a fait beaucoup de projets différents, pas mal d’évènements, notamment des Zéniths avec des artistes tels que Snoop Dogg, The Roots, Nas, Damian Marley, etc…. Et des blocs parties dans des parcs, des expositions au Palais de Tokyo, de grandes fresques graffiti dans le XXème… Enfin, au fil des années, il y a eu énormément de projets variés et divers.
Chaque année, on portait entre 30 et 40 évènements, des petits comme des très gros, musique, danse, graff…D’un point de vue plus personnel, j’ai plongé dans le hip-hop dans mon adolescence, dès mes onze-douze ans, par des cousins et grandes soeurs. J’ai commencé à expérimenter à travers le rap vers mes 13 ans, puis je me suis vite tourné aux platines, le DJing et le scratch, enfin le beatmaking au sens large.
J’achetais des vinyls au milieu des années 90, à fond dans le truc. J’écoutais toutes les émissions, les shows, les Nova, les Deenasty, tout ça… ça m’a permis de faire ma culture musicale… Puis le côté pratique artistique, assez amateur pour moi, même si j’ai sortis quelques trucs, que j’ai fait dès petites compil’, j’ai fini par le mettre de côté et j’ai abordé les choses dans une démarche de recherche.
J’ai fait de la recherche jusqu’au DEA en sociologie, sur l’institutionnalisation des cultures populaires, axé principalement sur le hip-hop. J’avais besoin de comprendre comment évoluait ma passion, la musique, parce que fin des années 90, c’est la période de la première exposition médiatique du hip-hop, avec un gros mouvement dans l’industrie de la musique, le mouvement Skyrock. C’est une évolution qu’il a fallu vivre et comprendre, quand tu étais un fan des années 90 qui voit le milieu changer comme ça, ça questionne forcément. La musique évoluait, le public aussi : des jeunes qui d’une année sur l’autre, passait de Queen au Secteur A. ça m’interpellait et j’avais envie de comprendre ce qu’il se passait, en plus ça coïncidait avec une période où je commençais à mieux comprendre le monde qui m’entourait, alors j’ai poussé en faisant de l’anthropologie, de la sociologie et en liant tout ça.
Dans l’action d’Hip-hop Citoyens, et ton parcours personnel, ce qui ressort, c’est que vous avez toujours considéré le Hip-hop comme une culture avec toutes ses facettes et ses différents domaines. Aujourd’hui, on voit beaucoup de gens faire des choix professionnellement parlant et ne choisir qu’un aspect. Est-ce que c’était une démarche calculée ou juste quelque chose qui faisait sens ?
Non, c’était tout à fait naturel. On est pas les seuls d’ailleurs , il y a notamment Pick-Up productions & HipHop sessions à Nantes, comme Da storm à Nîmes : ce sont des gens, des organisations qui prennent la pluridisciplinarité des pratiques artistiques du hip-hop à fond, même si aujourd’hui ce sont des pratiques qui finalement se croisent de moins en moins. Mais je pense que dans mon cas, c’est quelque chose de très naturel, j’ai même pas l’impression que ce soit un choix. À la base, je suis plus spécialisé musique, mais j’ai toujours baigné dans un milieu où c’était très varié. Comme c’était moins professionnalisé, qu’il y avait moins de médias et l’économie hip-hop était pas encore développée comme aujourd’hui, forcément c’était moins segmenté et séparé. Plus les choses se sont professionnalisées, plus c’est compartimentalisé. Ca ne veut pas dire qu’il n’y a pas de beatmakers qui sont dans la mode et qui font aussi du rap ou du graff. C’est l’évolution du milieu qui fait les choses comme ça.
Et avoir des organismes, des lieux comme La Place, qui est à la fois sur la musique, la danse, le graff, et même le cinéma, c’est important.
Comment tu qualifierais l’équipe actuelle de La Place ? Quels sont vos points forts ?
Avant tout, La Place, ce sont des gens passionnés.
Ce sont tous des gens qui baignent dans le Hip-hop, des passionnés par la musique, les arts visuels, la danse, etc… Donc, c’est une équipe portée par l’envie, qui une la passion chevillé au corps et qui ont travaillés pendant des années sur ces sujets-là. L’équipe est aussi très complémentaire, que ce soit dans les pratiques artistiques, que dans les approches professionnelles. C’est un beau mélange de profils aussi proches de la création et des noyaux créatifs, que des professionnels crédibles en face des institutions et du monde de l’industrie musicale. L’équipe de La Place c’est une quinzaine de personnes impliquées et passionnées.
Quel est ton bilan des 2 années passées ?
Malgré les orages et la pandémie, je suis assez fier de ce qu’on a réussi à accomplir en moins de deux ans à La Place.
On accueille beaucoup d’artistes, que ce soit en musique ou en danse, pour créer, faire des résidentes ou répéter, préparer des concerts et évènements. Après, on a eu un bel enjeu avec la création d’une nouvelle identité pour le lieu et les projets, avec une nouvelle identité visuelle et être présent sur le numérique, être à jour sur tous les outils digitaux et sur le web. Pendant la pandémie, c’était d’ailleurs un des axes de notre approche, faire un pas vers la création de contenu, d’être sur des capsules vidéos ou des beaux projets tels que le Live Arrangé (Episodes ICI). On a tourné des beaux épisodes avec des artistes comme Lala&Ce, Kalash Criminel, Le Juiice, etc. On a eu un bel echo sur ce projet et j’en suis assez fier.
On a aussi créé un festival de Danse qui s’appelle En Corps (2 fois/an pour mettre en avant la création chorégraphique), des évènements de graffiti, des DJ sets pendant tout l’été 2021 (La Place sur seine), et notamment la première édition de L2P Convention, qu’on a débuté en mars 2021 entièrement en vidéo et podcast. C’est aussi le témoignage de notre capacité d’adaptation, et ça a bien fonctionné, ça a été très suivi et il y autour de 200 000 vues cumulées, donc on était assez contents, ce qui nous a permis de ré-itéré l’expérience avec la L2P Convention de 2022 en physique. On a pu accueillir du public, lancer l’opération sur les modules graffitis, etc… On part sur des bases beaucoup plus solides, même si le début était pas facile… On est aussi super fier de lancer Centrale Place le 28 avril, le premier festival de rap au cœur des Halles avec Davinhor, Slimka, Ratu$, Di-meh, Zinée, Sheldon, Tuerie, Tedax Max… Avec des concerts à La Place et certains gratuits en extérieur sous la Canopée des Halles.
La L2P Convention, c’est une idée qui nous trottait dans la tête depuis longtemps, avant même d’arriver à la Place, c’était un projet que j’avais envie de développer. Il y a tellement de sujets dans notre milieu, c’est tellement vaste, mais avec des sujets tellement précis et tellement techniques que c’est important d’avoir des espaces d’échanges. Je parle par exemple des NFTs, des différents dispositifs d’aides à la création qui existent, sur comment administrer une compagnie de danse, etc… Il y a eu plus de 40 conférences et évènements, donc c’est variés, mais c’est quelque chose d’important, ces moments d’échange et de décryptages de notre milieu, nous sommes face à un phénomène culturel de plus en plus puissant, qui irrigue énormément de la création d’aujourd’hui.
Transmettre des clés, des manières de se former, des clés de compréhension ou d’action aux jeunes professionnels ou qui ont envie de se professionnaliser, c’est la moindre des choses. Le tout sans oublier la partie artistique et live avec des représentations et concerts, notamment la belle carte blanche à Isha et des scènes plus underground encore. Les concerts, soirées et expositions restant quand même hyper important.
Afin de clarifier vos positions, est-ce que tu souhaites répondre aux rumeurs de sexisme et de rémunération des femmes inférieurs à leurs homologues masculins ?
C’est absolument faux et je ne comprends pas d’où ça peut venir. Ce serait hyper grave si c’était vrai, sachant qu’en plus on cherche à oeuvrer pour une meilleure représentation des femmes, que ce soit les artistes et professionnels du milieu, au sein du Hip-hop. Il y avait d’ailleurs des conférences sur le sujet lors de cette L2P Convention.
Je crois que si l’on regarde la programmation, il y a vraiment autant de femmes que d’hommes, alors le fait de dire que les artistes ou professionnels femmes soient moins payées que les hommes, c’est juste impensable. C’est un non-sujet pour moi.
