[Billet d’humeur] « Et la police déteste tout le monde ! » : soutien à LAX, Original Tonio et Soso Maness

crédits photo : Damien B Photographie

Plus de 25 ans après les poursuites engagées par le gouvernement français contre Ministère A.M.E.R, syndicalistes policiers, politiciens d’extrême droite, de droite extrême et de gauche-de-droite ont semble-t-il décidé de remettre le couvert. En effet, quoi de mieux – l’élection présidentielle en ligne de mire – que de taper sur les rappeurs « analphabètes » pour picorer l’électorat Lepéniste ?

Les glapissements droitards ont commencé à retentir il y a une grosse semaine. En cause, une vidéo promotionnelle du festival Lyon Antifa Fest, dans laquelle les rappeurs LAX et Original Tonio, présents lors de l’édition 2015, scandent que « tous les flics sont des bâtards ». Alertés par le juge d’extrême droite Charles Prats, les syndicats policiers, qui tanguent globalement sur ce même bord idéologique, ont fait part de leur indignation au président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, le sinistre Wauquiez. Résultat des courses : une suppression de la subvention régionale de 45 000 € accordée à la salle accueillant le festival, le CCO.

Original Tonio - Lax : Haine Viscérale

Sans doute vert de jalousie vis-à-vis de son ancien camarade de parti, Gérald Darmanin avait besoin de brâmer et d’agiter son petit poing dans le même sens. Quelques jours après l’affaire lyonnaise, le patron des flics a jeté son dévolu sur Soso Maness et le public de la Fête de l’Huma. Leur tort : avoir repris en cœur un « tout le monde déteste la police » bien connu des manifestant.e.s, surtout depuis qu’il est coutume de voir des doigts et des yeux voler en morceaux au cours des manifs en question.

Dans cet épisode comme dans le précédent, la mécanique est bien huilée : les politiciens de droite et les syndicalistes policiers gesticulent et réclament la mise au pilori des artistes, les médias mainstream relaient piteusement les discours les plus conservateurs, les « progressistes » et les institutions culturelles se désolidarisent de plus ou moins bonne grâce, et quelques voix bien esseulées prennent la défense du rap FR face au flot des propos réactionnaires. Si ces attaques des réacs de tous poils ont peu à voir avec la musique, il nous paraissait important de faire deux choses à travers la rédaction de ce papier. C’est d’abord d’apporter, en tant que média rap ayant pris position contre les brutalités policières et les lois liberticides, un soutien inconditionnel à LAX, Original Tonio, Soso Maness, et plus largement à tous les artistes rap ciblé.e.s par l’extrême droite et les institutions répressives. C’est aussi, à rebours des dépêches et des tweets nauséabonds, de transcrire noir sur blanc des réflexions inspirées par ces deux récentes affaires. Ces réflexions sont au nombre de six.

1. Les propos de LAX, Original Tonio et Soso Maness ne choquent que les personnes qui refusent obstinément de reconnaître le caractère systémique des brutalités policières.

Si les banlieusard.e.s, qui forment le gros du bataillon rap français, n’aiment pas la police, c’est que ces personnes sont confrontées depuis leur plus jeune âge à une institution ayant érigé les contrôles au faciès, le quadrillage systématique des quartiers et l’usage d’équipements militaires contre leur population en tactiques de maintien de l’ordre. Si les artistes rap FR proclament ponctuellement leur détestation de la police depuis une trentaine d’années, c’est que la police nationale française a travaillé avec acharnement à se rendre proprement détestable durant cette même période.

2. Malgré sa « normalisation » médiatique, le rap FR reste une cible de choix pour les réactionnaires.

En 2021, il est possible de voir certains artistes rap accueilli.e.s à bras ouverts par Léa Salamé sur les plateaux de France Inter, et en même temps de voir leurs homologues vomi.e.s par des politiciens habitués des mêmes plateaux. Alors que se profile une présidentielle où Zemmour risque de faire la pluie et le beau temps, il y a fort à parier que les récentes prises de position réactionnaires contre des artistes rap vont enfanter de nouveaux réquisitoires rances dans les mois à venir.

3. La gauche de droite (PS, PCF…) n’a jamais été et ne sera jamais l’alliée du rap FR.

Il aura fallu quelques heures au maire PS de Villeurbanne pour emboîter le pas à Laurent Wauquiez et brocarder le Lyon Antifa Fest, LAX et Original Tonio. Quelques heures à Fabien Roussel (PCF) ou Olivier Faure (PS) – qui marchaient bras-dessus bras-dessous avec les syndicats policiers il y a quelques mois – pour se désolidariser de Soso Maness et du public de la Fête de l’Huma. Même le patron du groupe L’Humanité, qui organise ladite Fête, désapprouve, ce qui paraît un tantinet hypocrite : avec le titre clippé Interlude, Soso Maness n’a pas franchement caché son désamour de la police aux yeux des personnes en charge des programmations festivalières.

4. Les médias généralistes écrivent et relaient résolument n’importe quoi.

Dans l’affaire lyonnaise, on a vu le journal local Le Progrès faire ses gros titres sur le scandale du « festival subventionné » et anti-flics. C’est la salle accueillant le Lyon Antifa Fest, absolument pas le festival lui-même, qui est subventionnée, mais cela semble importer peu à ce média habitué aux formules brouillonnes et racoleuses. A l’échelle nationale, de nombreuses rédactions ont relayé sans broncher les messages poisseux des syndicats policiers, qui se sont indignés de la concomitance du slogan de Soso Maness et du procès des attentats du 13 novembre 2015.

5. Il est possible de fredonner la détestation de la police, mais pas de la rapper.

Comme l’a remarquablement montré la page Instagram Nantes Révoltée, la détestation de la police traverse l’art du siècle passé, de Georges Brassens préférant les policiers « sous la forme de macchabées » à Michel Audiard ciblant les « éclairs d’imbécilité » des forces de l’ordre. Par contre, comme l’a cette fois bien dit Taha Bouhafs, un artiste peut chanter sa détestation de la police, mais pas la rapper, et ce d’autant plus s’il s’appelle Sofien et a grandi dans un quartier populaire. Et si comparer Brassens et Soso Maness – cet « analphabète marseillais qui produit de la diarrhée pour neuneus » –  peut donner des poussées d’urticaire au syndicat policier Synergie-Officiers (à l’origine de cette phrase lamentable), et bien on les comparera, encore et encore.

6. Dans le climat idéologique ambiant, le rap contestataire apparaît menacé.

Si elle n’en est pas nécessairement le fondement inamovible, la subversion est une des essences majeures du rap. Alors que les médias de référence tente de la saper en distribuant bonus et malus aux artistes, et que les réactionnaires semblent décidés à dézinguer tout ce qui critique de près ou de loin le sacro-saint maintien de l’ordre à la française, les artistes hip-hop contestataires doivent être soutenu.e.s. Il faut savoir que, de l’autre côté des Pyrénées, le rappeur catalan Pablo Hasél purge une peine de neuf mois de prison pour avoir rendu hommage à un groupe armé d’extrême gauche des années 70 et pour avoir qualifié les policiers espagnols de « mercenaires de merde ». Face à des politiques tentés par l’autoritarisme, il est impératif de défendre sans détours la liberté d’expression et de contestation qui est une des grandes forces du rap FR !

Soso Maness - Interlude (Clip officiel)

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